le 7 août [1763]
Depuis six semaines, mon cher confrère, que je suis arrivé ici, j'ai toujours voulu vous écrire sans en pouvoir trouver le moment, différentes occupations et des difficultés de toute espèce m'en ont empêché.
Cependant je ne veux pas retourner en France sans vous donner signe de vie; mon voyage a été des plus agréables, & le roi me comble de toutes les bontés possibles. Je puis vous assurer que ce Prince est supérieur à la gloire même qu'il vient d'acquérir, par la justice qu'il rend à ses ennemis, & par la modestie bien sincère avec laquelle il parle de ses succez. Vous êtes convenu avec moi, & vous avez bien raison, que La destruction de sa puissance eût été un grand malheur pour les lettres & pour la Philosophie. Les gazettes ont dit, mais sans fondement, que j'étois Président de l'académie. Je ne puis douter à la vérité que le roi ne le désire, & j'ose vous dire que l'académie même m'a paru le souhaiter beaucoup, mais mille raisons, dont aucune n'est relative au roi, & dont la plus part sont relatives à moi seul, ne me permettent pas de fixer mon séjour en ce pays. Le roi me parle souvent de vous, il sait vos ouvrages par cœur, il les lit & les relit, & il a été charmé tout récemment de la lecture qu'il a faite de vos additions à l'histoire générale. Je puis vous assurer qu'il vous rend bien toute la justice que vous pouvez désirer. Le marquis d'Argens me charge de vous faire mille complimens de sa part; il vous regrette beaucoup, & me le dit souvent, il n'en fait pas de même de Maupertuis, qui, ce me semble, n'a pas laissé beaucoup d'amis dans ce pays.
Je ne vous donne aucune nouvelle de littérature, car je n'en sais point, & vous savez combien elles sont stériles dans ce pays, où personne, excepté le roi, ne s'en occupe. Que dites vous du bel arrêt du parlement de Paris pour consulter la faculté de Théologie sur l'inoculation, cette même faculté qu'il a déclarée ne pouvoir être juge en matière de sacremens? Cette nouvelle sottise françoise nous rend la fable des étrangers. Il faut avouer que nous ne démentons notre gloire sur rien.
Adieu, mon cher & illustre maitre, mes respects à made Denis. Comme je compte partir à la fin de ce mois pour retourner en France, adressez moi votre réponse à Paris. Je compte toujours faire le voyage d'Italie, & vous embrasser en allant ou en revenant.