à Paris ce 11 mars [1767]
Ce n'est point un jesuite, mon cher & illustre ami, qui vous remettra cette lettre de ma part; quelque aguerri que vous deviez être à voir cette robe, puisque vous en nourrissez un depuis dix ans, je ferois scrupule de vous surcharger de pareille marchandise; ce n'est donc point un jesuite, mais beaucoup mieux à tous égards, que je vous prie de recevoir et d'accueillir; c'est un Barnabite Italien nommé le P. Frisi, mon ami depuis longtemps, et digne d'être le vôtre, grand géomètre, qui a remporté plusieurs prix dans les plus célèbres académies d'Europe, excellent philosophe malgré sa robe, et dont je vous annonce d'avance que vous serez très content. Il s'en retourne à Milan ou il est professeur de mathématiques, après avoir passé près d'un an à Paris, aimé & estimé de tous nos amis communs. Avant que de rentrer dans le séjour de la superstition autrichienne et Espagnole, il a désiré d'en voir le fléau, qui n'est pas fait pour faire peur à mon Barnabite. Il a voulu voir mieux encore, l'ornement et la gloire de la littérature françoise, ou plutôt Européene, car un homme tel que vous n'appartient pas au pays des Welches, où il est persécuté tandis qu'on l'admire ailleurs. Le P. Frisi a pour compagnon de voyage un jeune seigneur milanois de beaucoup d'esprit et de mérite, que je vous recommande ainsi que lui; je me flatte, mon cher philosophe, que vous voudrez bien les recevoir l'un et l'autre comme deux personnes de beaucoup de mérite, et pour les quels j'ai beaucoup d'amitié & d'estime. Adieu, mon cher maître, je vous embrasse de tout mon cœur. Si vous avez besoin d'indulgences, mes deux voyageurs pourront vous en ménager; car ils ont quelque crédit à la cour du st Père, qui par parenthèse pourroit bientôt faire banqueroute; ainsi ceux qui veulent des absolutions doivent se dépêcher. Interùm vale et me ama.
D'Alembert