Ferney ce 15 décembre 1774
Je vois que les plaisirs de Paris vous consolent un peu du malheur de la guerre que vous êtes obligé de faire. Vous n'entendez parler que de Henri IV, comme à Stockolm il n'était question que du grand Gustave; mais je suis sûr qu'on n'a point joué le grand Gustave aux marionnettes. Chaque peuple habille ses héros à la mode de son pays. Je me souviens que dans mon enfance Henri IV et le duc de Sulli étaient connus à peine. Il y a trois choses dont les parisiens n'ont entendu parler que vers l'an 1730, Henri IV, la gravitation et l'inoculation. Nous venons un peu tard en tout genre; mais aujourd'hui nous n'avons rien à regretter dans l'aurore du règne le plus sage et le plus heureux. On dit surtout que nous avons un ministre des finances aussi sage que Sulli et aussi éclairé que Colbert. Ces finances sont le fondement de tout dans les empires comme dans les familles. C'est pour de l'argent que l'on fait la guerre et qu'on plaide. Nous avons une lettre de l'empereur Adrien dans laquelle il dit qu'il est en peine de savoir qui aime plus l'argent, ou des prêtres de Sérapis, ou de ceux des Juifs, ou de ceux des Chrétiens. Ceux qui vous font un procès paraissent l'aimer beaucoup. J'ai consumé tout le mien à établir à Ferney une assez grande colonie; j'ai changé le plus vilain des hameaux en une petite ville assez jolie où il y a déjà cinq carrosses. Je voudrais avoir encore l'honneur de vous y recevoir lorsque vous retournerez dans vos terres.
J'ai l'honneur d'être &a
le vieux malade de Ferney