19e may 1763 aux Délices
Je reçois la lettre et le paquet du 14e mai de mes anges.
Non vraiment ils ne sont point exterminateurs, et je les rétablis dans leur titre naturel, et dans leur dignité d'anges sauveurs. Ils ont daigné prendre le seul parti convenable, je les remercie également de leurs bontés et de leur peine. Il est vrai que vous en aurez beaucoup, mes divins anges, à empêcher que l'Europe ne trouve les querelles pour les billets de confession, et pour une supérieure de l'hôpital, extrêmement ridicules. On n'avait parlé de ces misères que pour faire voir combien les plus petites choses produisent quelquefois des événements terribles. Il y a loin d'un billet de confession à l'assassinat d'un roi, et cependant ces deux objets tiennent l'un à l'autre, grâce à la démence humaine. C'était ce qu'il fallait faire sentir dans une histoire qui n'est que celle de l'esprit humain; et sans cela on aurait abandonné au mépris et à l'oubli toutes ces petites tracasseries passagères, qui ne sont faites que pour le recueil D, ou le recueil E.
Je vous avoue que je suis un peu étonné des remarques que vous m'avez envoyées. L'auteur de ces remarques semble marquer un peu d'aigreur. Est il possible qu'il puisse me reprocher de n'avoir pas nommé dans plusieurs endroits un conseiller auquel je suis très attaché, et dont je rapporte une belle action, quoique étrangère à mon sujet? Aurait il fallu que je le nommasse dans ce vaste tableau des affaires de l'Europe, lorsque je ne nomme pas mr le duc de Praslin, à qui nous devons la paix, et que je me contente de dire, deux sages crurent la paix nécessaire, la proposèrent et la firent? En vérité, la plupart des hommes ressemblent aux moines qui pensent qu'il n'y a rien d'intéressant dans le monde que ce qui se passe dans leur couvent.
J'ai peine à concilier ce que dit l'auteur des remarques, sur les billets de confession en deux endroits différents. Au premier il prétend qu'il n'est pas dans l'exacte vérité, qu'il fallait que ces billets fussent signés par des prêtres adhérant à la bulle, sans quoi point d'extrême onction, point de viatique. Et au second endroit il dit, que dans les remontrances du parlement, on prouvait jusqu'à la démonstration, combien il était absurde d'attacher la réception ou l'exclusion des sacrements à un billet de confession.
Il dit donc précisément ce que j'ai dit, et ce qu'il me reproche d'avoir dit.
Je vois en général, et vous le voyez bien mieux que moi, qu'il règne dans les esprits un peu de chaleur et de fermentation. J'ai été de sang-froid quand j'ai fait cette histoire, on est un peu animé quand on la critique. Mes anges conciliants ont pris un mezzo termine, dont encore une fois je ne peux trop les remercier. Si le parlement brûle le livre, ce sera donc vous qu'il brûlera; je serai enchanté d'être incendié en si bonne compagnie.
Je tâcherai de servir mr le duc de Praslin dans sa gazette littéraire qu'il protège. S'il le veut, je ferai moi même les extraits de tout ce qui paraîtra en Suisse, où l'on fait quelquefois d'assez bonnes choses; on me gardera le secret, mais probablemt mr l'ambassadeur en Suisse, et mr le résident à Genève seront plus instruits que je ne pourrai l'être, et mon travail ne serait qu'un double emploi.
Je vous ai dépêché, mes anges, par la poste, sous l'enveloppe de mr de Courteille, deux exemplaires d'Olimpie, dont l'un est pour mr de Thibouville. Mais comme vous m'écrivez sous l'enveloppe de mr de Chauvelin, et que messieurs de la poste m'ont retenu plusieurs paquets sans respecter les adresses, je vous écris aujourd'hui à votre adresse même, mr de Courteille étant à la campagne; ayez donc la bonté de me faire savoir comment je dois adresser mes lettres dorénavant.
Il me semble que les yeux chez un de mes anges et chez moi, ne sont pas notre fort. J'en ai vu de fort beaux à l'un des deux anges, et je vois que ceux là ne perdent rien de leur vivacité.
Toujours à l'ombre de vos ailes.
V.
N.B. Je viens de dicter quelques extraits d'ouvrages nouveaux qui ne sont pas indifférents; je les enverrai à mr de Montperoux, notre résident, afin qu'il en ait le mérite, si la chose comporte le mot de mérite, et quand on sera content de cet essai, je continuerai, supposé qu'il me reste au moins un œil.