8 mai 1763
Anges exterminateurs,
Celui qui vous appelait furie avait bien raison.
Vous êtes mon berger et vous écorchez votre vieux mouton. Voicy les derniers bélements de votre ouaille misérable.
1º Vous voulez qu'on imprime la médiocre Zulime au profit de melle Clairon. Très volontiers, pourvu qu'elle la fasse imprimer comme je l'ay faitte. Je doute qu'elle trouve un libraire qui luy en donne cent écus, mais je consens à tout pourvu qu'on donne L'ouvrage tel que je l'ay envoyé en dernier lieu.
2º Voulez vous faire supprimer L'édition d'Olimpie, ou en faire imprimer une autre en adoucissant quelques passages sur ce détestable grand prêtre Joad? et le tout au profit de melle Clairon? De tout mon cœur, avec grand plaisir assurément.
3º L'histoire générale est peutêtre un peu plus sérieuse. Le parlement sera irrité? de quoy? de ce que j'ay dit la vérité? Le gouvernement ne me pardonnera donc pas d'avoir dit que les Anglais ont pris le Canada? (que j'avais par parentèse offert il y a quatre ans de vendre aux Anglais ce qui aurait tout fini, et ce que le frère de Mr Pit m'avait proposé)? Mais laissons là le Canada et parlons des iroquois qui me feraient brûler pour avoir laissé entrevoir un air d'ironie sur des choses très ridicules.
Entre nous y aurait il rien de plus tirannique et de plus absurde que d'oser condamner un homme pour avoir représenté le Roy comme un père qui veut mettre la paix entre ses enfans? Voylà le précis de toutte la conduitte du Roy. J'ay rendu gloire à la vérité, et cette vérité n'a point été souillée par la flaterie. La cour peut ne m'en pas savoir gré, mais de bonne foy le parlement ferait il une démarche honnête de rendre un arrest contre un miroir qui le montre à la postérité, miroir qu'il ne cassera pas, et qui est d'un assez bon métal? Ne saura t'on pas que c'est la vérité qui l'a indisposé personnellement? et quand il condamnera le livre en général quel homme ignorera qu'il n'a vangé que ses prétendues injures particulières? Je n'ay d'ailleurs rien à craindre du parlement de Paris et j'ay baucoup à m'en plaindre. Il ne peut rien ny sur mon bien ny sur ma personne. Ma réponse est toutte prête, et la voicy.
Il y avait un roy de la Chine qui dit un jour à l'historien de l'état, Quoy, vous voulez écrire mes fautes? Sire, répondit le grifonier chinois, mon devoir m'oblige d'aller écrire tout à l'heure le reproche que vous venez de me faire. Eh bien donc, dit l'empereur, allez et je tâcherai de ne plus faire de fautes, etc. etc. etc.
Mais s'il est vray que j'aye altéré des faits et des dattes j'ay beaucoup d'obligation à mr l'abbé de Chauvelin et à mr le président de Meyniere. Ces dattes et ces faits ont été pris dans tous les journaux du temps, et même dans la gazette ecclésiastique qui certainement n'a pas eu envie de déplaire au parlement. J'attends avec empressement l'effet des bontez de mrs de Meinieres et de Chauvelin, et je corrigerai les chapitres concernant les billets de confession, et la cessation de la justice. J'avoue que j'aurai bien de la peine à louer ces deux choses. Elles me paraissent absurdes comme à toutte la terre. Je m'en rapporte à votre ami mr le duc de Pralin. Je m'en raporte à vous, mes anges. Vous savez votre histoire de France. Il y a eu des temps plus funestes, mais y en a t'il eu de plus impertinents? Je voudrais que vous fussiez aux Délices, ouy assurément je le voudrais, vous y verriez des Anglais, des Tudesques, des polaires, des Russes, vous verriez ce qu'on pense de notre pauvre nation. Vous verriez comme l'Europe la traitte. Vous me trouveriez le plus circomspect de tous les hommes dans la manière dont j'ay parlé de vos belles querelles.
A l'égard du csar Pierre premier, vous en usez avec moy précisément comme le docteur Tronchin avec madame Denis. Elle luy a demandé quatre pillules de moins: et il luy fait prendre quatre pillules de plus. Mais mes divins anges, quand un livre est lâché dans l'Europe, il n'y a plus de remède. Je grifone, Crammer imprime, bien ou mal, et il fait ses envois sans me consulter. Je n'ay assurément aucun intérest à la chose, je n'en ay que la peine. Qu'on supprime ses livres à Paris, c'est son affaire. Pourquoy ne vous a t'il pas fait présenter le premier exemplaire?
Voylà mr de Thibouville qui m'envoye vraiment de beaux projets pour Olimpie? c'est bien prendre son temps!
Ma conclusion est que je vous suis très obligé de me procurer les remarques de mrs de Meyniere et de Chauvelin. La vérité que je préfère à tout me les fera adopter sur le champ. Mais je vous jure que la crainte de tous les parlements du Royaume ne me ferait pas altérer un fait vrai, de même que les trois états du Royaume assemblez ne m'empêcheraient pas de vous aimer.
Ne me faittes pas peur des parlements je vous en prie; car je ne tiens en nulle manière à mes terres au bout de la Bourgogne. Je vais vendre tout ce que j'ay en France dont je peux disposer, j'enverrai ma nièce avec mr et me du Pui à Paris, le parlement ne saisira pas ce que je luy aurai donné, et il m'en restera assez pour vivre et pour mourir libre, et même pour aller mourir dans un pays plus chaud que le mont Jura et les alpes, dont la neige me rend aveugle six mois de l'année.
Mes anges, tout diables que vous êtes, je suis sous vos ailes à la vie et à la mort.