1763-05-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à marchese Francesco Albergati Capacelli.

Le pauvre vieux malade a reçu, Monsieur, des bouteilles de vin dont il vous remercie, et dont il boira s'il peut jamais boire; il y a aussi des saucissons dont il mangera s'il peut manger.
Il est dans un état fort triste, et ne peut guères actuellement parler ni de vers, ni de saucissons. Vraiment Monsieur, vous me faittes bien de l'honneur, de vous regarder comme mon fils; il est vrai que je me sens pour vous la tendresse d'un père, et que deplus, j'ai l'âge requis pour l'être.

N'attribuez, Monsieur, qu'à ma vieillesse, si je ne me souviens pas du père Paciaudi, ou Paciardi, je n'ai pas la mémoire bien fraiche et bien sûre. Il se peut faire que j'aye eu L'honneur de voir ce theatin, mais je prie son ordre de me pardonner si je ne m'en souviens pas. Rien ne peut égaler l'honneur que vous et vos amis m'avez daigné faire en traduisant quelques uns de mes faibles ouvrages, et rien ne peut diminuer à mes yeux les mérite des traducteurs, ni affaiblir ma reconnaissance.

Comme l'état où je suis ne me permet d'écrire que très rarement, et encor par une main étrangère, je n'entretiens pas un commerce fort suivi avec nôtre cher Goldoni; mais j'aime toujours passionnément ses écrits et sa personne. J'imagine qu'il restera longtemps à Paris, où son mérite doit lui procurer chaque jour de nouveaux amis et de nouveaux agréments: mais quand il retournera dans sa belle Italie, je le suplierai de passer par nôtre hermitage; nous aurons le plaisir de nous entretenir de vous, il vous portera, Monsieur, mon respect extrême pour vôtre personne, et mes regrêts de mourir sans avoir eu la consolation de vous voir.

V. t. h. ob. str

V.