1763-03-24, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jeanne Grâce Bosc Du Bouchet, comtesse d'Argental.

La lettre de mes anges du 15 mars, est vraiment un bien bon ouvrage, et mes anges ont tout l'air d'avoir raison; mais je voudrais qu'on leur donnât par plaisir à commenter Othon, la Toison d'or et Sophonisbe, &c. &c.
La patience leur échapperait comme à moi; et si pour se consoler ils relisaient Iphigenie, ils se mettraient à genoux devant Jean Racine.

Que m'importe que Pierre soit venu avant ou après! Cela n'entre pour rien dans mes plaisirs ou dans mes dégoûts. C'est l'ouvrage que je juge et non l'homme. Je veux que Pierre ait cent fois plus de génie que Jean. Pierre n'en est que plus condamnable d'avoir fait un si détestable usage de son génie dans la force de son âge. Je ne peux me plaindre de la bonté avec laquelle vous parlez d'un Brutus et d'un Orphelin; j'avouerai même qu'il y a quelques beautés dans ces deux ouvrages; mais encore une fois, vive Jean! Plus on le lit et plus on lui découvre un talent unique, soutenu par toutes les finesses de l'art. En un mot, s'il y a quelque chose sur la terre qui approche de la perfection, c'est Jean. Je n'ai commenté Pierre que pour être utile à ma pupille et au public; et je ne peux être utile qu'en disant la vérité.

Comme il faut joindre l'agréable à l'utile, voici quelques exemplaires de la relation du marquis Pompignan faite par lui même. Il y a là je ne sais quoi de naïf qui me fait plaisir.

Vous m'ordonnez de vous envoyer une certaine Olimpie, pour laquelle je me refroidissais beaucoup. C'est un enfant que j'étouffais de caresses. Quand il était au berceau je l'aimais trop, et peut-être à présent je ne l'aime pas assez; je crains qu'on ne lui donne du ridicule dans le monde; car à moins que le bûcher ne soit le plus beau des spectacles, il peut devenir grande matière à sifflets. Je vais sur le champ faire chercher Olimpie; je dois en avoir encore une assez mauvaise copie; mais je vous l'enverrai telle qu'elle est pour ne pas vous faire attendre.

V.