1763-02-01, de Voltaire [François Marie Arouet] à Étienne Noël Damilaville.

En réponse à la lettre du 26.

Je serais bien fâché, mon cher frère, que le libraire Cramer eût apporté un exemplaire de l'histoire générale à Paris s'il l'avait déposé en d'autres mains que les vôtres. Non seulement il y manque les cartons nécessaires pour les fautes d'impression, mais pour les miennes. Nous étions convenus malgré la loi de l'histoire de supprimer des vérités et surtout celles dont vous me parlez. Les corrections sont faites il y a plus de quinze jours et l'autre Cramer les aurait déjà imprimés s'il n'attendait des feuilles nouvelles pour achever l'édition. Je ne peux trop vous remercier de vos réflexions judicieusesdictées par le bon sens et par l'amitié. Je ne sais comment vous n'avez que quatre tomes, car il y en a huit et celui dont vous me parliez est le huitième. Donnez vous à votre loisir, mon cher frère, le plaisir ou le dégoût de les parcourir et si vous trouvez quelque vérité qu'il faille encore immoler aux convenances, ayez la bonté de m'en avertir.

Catherine s'immortalise par sa lettre et frère d'Alembert par ses refus. Ainsi donc on avertit de mille lieues notre ministère que nous avons dans notre patrie des hommes d'un génie supérieur.

Au reste mon cher frère que la seconde édition soit munie ou non d'une permission, qu'elle entre ou non dans le royaume, c'est l'affaire des Cramer et non la mienne. Je leur ai fait présent du manuscrit. Ils entendront assez bien leurs intérêts pour débiter leur marchandise. Le grand point est que le Cramer voyageur n'ait pas apporté à Paris d'autre exemplaire; c'est un grand service que vous me rendrez de ne pas montrer le vôtre, avant que vous ayez les nouvelles feuilles.

C'est une aventure assez comique que celle que j'ai eue avec Pindare Le Brun en vous envoyant un paquet pour lui dans le temps que vous me dépêchiez ses rabâchages contre moi. Je lui fais part dans ce paquet du mariage de mlle Corneille qui est le fruit de sa belle ode. Je lui envoie des lettres pour mlles de Villagenou et Felis, nièces de m. du Tillet qui les premières tirèrent mlle Corneille de son état malheureux et auxquelles elle doit une reconnaissance éternelle. Je l'accable de politesses qui doivent lui tenir lieu de châtiment. Mes pauvres yeux souffrent horriblement en écrivant; cependant continuons; un dictionnaire de médecine me viendrait à merveille dans l'état où je suis. Il n'y aurait qu'à l'envoyer à m. Camp à Lyon par la diligence. Pour l'Appel à la raison, il pourrait venir par la poste. Je supplie mon cher frère d'avoir la bonté d'envoyer à son loisir chez m. De La Leu, notaire, rue Sainte croix de la Bretonnerie. Si mon frère Thiriot n'aime pas à écrire, il devrait du moins faire chercher des livres et ne pas laisser mourir son frère de faim.

Je vous embrasse bien cordialement, mon cher frère.

Ecrasez l'infâme.