1763-01-10, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Mes divins anges si les mariages sont écrits dans le ciel, celuy de M. de Cormont et de note marmote a été rayé.
Encor une fois comment pouvions nous ne pas croire que vous intéressiez vivement à ce mariage? Le futur était venu avec une copie d'une de mes lettres. Il s'était annoncé de votre part. Il se disait sûr du consentement de ses parents. Il avait débuté par demander si la souscription du Corneille n'allait pas déjà à quarante mille livres, et la première confidence qu'il fit était que son dessein était de voiager en Italie avec cet argent. Il nous avoua qu'il avait cru que qu'il avait cru que melle Corneille était élevée dans notre maison comme une personne qu'on a prise par charité. Il luy parla comme Arnolphe, à cela près qu'Arnolf aimait, et que le futur n'aimait point. Il fut un peu surpris de voir que madelle Corneille était élevée et mise et considérée chez nous comme le serait une fille de la première distinction qu'on nous aurait confiée. Nous rectifiâmes, madame Denis et moy, les idées de notre homme. Cependant l'affaire s'ébruitait, comme je vous l'ay mandé. Il fallait prendre un party. M. de Cormont nous apprit luy même que ses parents n'étaient ny si vieux ny si riches qu'on nous l'avait dit; mais il attendait toujours le consentement. Mr Micaut nous assurait qu'il était honnête homme quoy qu'un peu dur, entier, et bizare. Il devait avoir un jour cinq mille livres de rente, mais en attendant, il n'avait rien du tout. Dans cette perpléxité et surtout dans l'idée que vous vouliez bien vous intéresser à sa personne, nous crûmes ne pouvoir mieux faire que de tâcher de luy procurer par votre protection la place que vous savez. Cet employ était précisément à notre porte, les terres de son père sont assez voisines des nôtres; rien ne nous paraissait plus convenable pour notre situation. Nous savions que cette place dépend absolument de votre amy, qu'on la donne à qui l'on veut, que ce n'est point d'ordinaire une récompense de sécrétaire d'ambassade, puis que ny le présent titulaire(qu'on aurait pu placer ailleurs) ny Champo son prédécesseur, ny Closure, ny aucun de deux qui ont eu cet employ n'ont été secrétaires d'ambassade. Nous vous représentons tout cela, non pas pour désaprouver les arrangements que M. le duc de Pralin a pris, et que nous trouvons très justes, mais seulement pour justifier notre démarche auprès de vous, démarche qui n'a été fondée que sur la persuasion où nous devions étre par les discours du prétendu, et par la copie de mes lettres dont il était armé, que vous souhaittiez ce mariage. La seule manière d'y parvenir était d'obtenir la place que nous demandions, car le père ne voulant absolument rien donner, le fils n'ayant que des dettes, et n'ayant précisément pas de quoy vivre, à la réforme de sa compagnie, quel autre moyen pouvions nous imaginer? Nous n'avons pas laissé d'avoir quelque peine à faire partir ce jeune homme, qui sans avoir le moindre goust pour melle Corneille voulait absolument rester chez nous, uniquement pour avoir un azile. Toutte cette avanture a été assez triste. Il est vraisemblable que mr de Cormont a toujours caché à monsieur de Valbelle et à melle Clairon l'état de ses affaires, sans quoy nous serions en droit de penser que ny l'un ny l'autre n'ont eu pour nous beaucoup d'égards. Nous serions d'autant plus autorisez dans nos soupçons que mademoiselle Clairon ayant dit qu'elle allait marier melle Corneille, le Kain nous écrivit qu'elle épouserait un comédien, et nous en félicitait. J'estime les comédiens quand ils sont bons, et je veux qu'ils ne soient ny infâmes dans ce monde, ny damnez dans l'autre, mais l'idée de donner la cousine de M. de la Tour du Pin à un comédien est un peu révoltante, et cela paraissait tout simple à le Kain. En voilà beaucoup mes anges sur cette triste avanture. Nous nous en sommes tirez très honorablement et la conduitte de melle Corneille n'a donné aucune prise à la malignité des Genevois ny des Français qui sont à Geneve. Car il y a des malins partout.

Je me joins à Mon Oncle et je vous dirais les mêmes choses s'il ne vous les avait déjà dites. J'y ajoute seulement les tendres assurences du plus sincère et du plus inviolable attachement.

J'arrache la plume à made Denis pour vous dire mes anges que dans le temps où le prétendu mariage commençait à être public dans la province et à Genève, j'écrivis à Monsieur le p. président de la Marche dans le dessein de placer sur sa terre la dot de Melle Corneille, cet arrangement était d'autant plus convenable que la terre de Vaugrenant touche précisément à celle de la Marche. Tout est changé, tout est évanoui. Il n'y a rien là de surprenant. Mais est il vray que le fou de Verberie qu'on a pendu était un jésuite? Avez vous la bonté de me faire lire le discours du fou au mortier? Mr de la Salle, ce mr de la Salle, conseiller de Toulouse, qui était si persuadé de l'innocence des Calas et qui les a fait rouer en se récusant, est il à Paris, est il venu chez vous? Le beau Crammer qui sait par ouï dire qu'il imprime le Corneille est il venu s'entretenir avec vous des intérêts des princes? Savez vous à présent à quoy vous en tenir sur les souscriptions? Savez vous que ny made de Pompadour ny prince ny seigneur n'ont donné un écu? N'êtes vous pas fatigué de mes longues lettres? Ne pardonez vous pas à votre créature?

V.