1762-10-18, de Voltaire [François Marie Arouet] à Louisa Dorothea von Meiningen, duchess of Saxe-Gotha.

Madame,

Ce n'est pas ma faute si le curé Jean Meslier et le prédicateur des cinquante ont été de même avis à deux cent lieues l'un de l'autre.
Il faut que la vérité soit bien forte pour se faire sentir avec tant d'uniformité à deux personnes si différentes. Plût à dieu que le genre humain eût toujours pensé de même, le sang humain n'aurait pas coulé depuis le concile de Nicée jusqu'à nos jours pour des absurditez qui font frémir le sens comun. C'est cet abominable fanatisme qui a fait rouer en dernier lieu à Toulouse un père de famille innocent, qui a mis toutte la famille à la mendicité, et qui a été tout prest à faire périr cette famille vertueuse dans les supplices. S'il n'y avait point eu de confrairie de pénitents blancs à Toulouse cette catastrophe affreuse ne serait pas arrivée. Le guerre est bien funeste mais le fanatisme l'est encor davantage. Le conseil d'état du roy est à présent saisi de l'affaire. Ce n'a pas été sans peine que je suis parvenu à faire porter des plaintes contre un parlement, mais il faut secourir hardiment l'innocence et ne rien craindre. Il va paraitre un mémoire pour les Calas signé de quinze avocats de Paris. Il va paraitre aussi un plaidoyer d'un avocat au conseil. Ce sont des ouvrages assez longs. Comment pourai je les envoyer à votre altesse? J'attendrai ses ordres. Je m'attendais que d'aussi belles âmes que la sienne, et celle de la grande maitresse des cœurs seraient touchées de cette horrible avanture. Je me mets aux pieds de votre altesse sérénissime et de toutte votre auguste famille avec le plus profond respect.

Grande maitresse des cœurs conservez moy vos bontez.

V.