28 septb[1762]
Je réponds, ô mes anges gardiens, à votre béatifique lettre dont Roscius a été le scribe, et je vous envoye la façon dont nous jouons toujours Zulime.
Je peux vous répondre que cette fin est déchirante et que si on suit notre leçon on ne s'en trouvera pas mal.
Ce n'est pas que j'aye jamais regardé Zulime comme une tragédie du premier ordre. Vous savez combien j'ay résisté à ceux qui avaient le malheur de la préférer à Tancrede qui est à mon gré un ouvrage très téâtral, un véritable spectacle, et qui a de plus le mérite de l'invention et de la singularité, mérite que n'a point Zulime.
Je vous supplie très instament de vous opposer à cette fureur d'écourter touttes les fins de pièces. Il vaut bien mieux ne les point jouer. Quel est le père qui voulût qu'on coupast les pieds à son fils?
Le Kain m'a envoyé la façon dont il dit qu'on joue Zaïre. Cela est abominable. Pourquoy estropier ma pièce au bout de vingt ans? Il me semble qu'il se prépare un siècle d'un goust bien dépravé. Je n'ay pas mal fait de renoncer au monde. Je ne regrette que vous dans Paris.
Je n'aurai monsieur le maréchal de Richelieu que dans quelques jours. Notre tripot ne laisse pas de nous donner de la peine. Ce n'est pas toujours une chose aisée de rassembler une quinzaine d'acteurs au pied du mont Jura, et il est encor plus difficile de conserver ses yeux et ses oreilles à soixante et huit ans passez avec un corps des plus minses et des plus frêles.
Je vous ay écrit sur les Calas. Je vous ay adressé mon petit complimentà Monsieur le comte de Choiseuil. Vous ne m'avez point dit s'il en est bien mécontent.
Je vous ay adressé un petit mémoire très politique qui ne me regarde pas.
Je suis un peu en peine de mon impératrice Catherine. Vous savez qu'elle m'avait engagé à obtenir des enciclopédistes persécutez par cet Omer à venir imprimer leur dictionaire chez elle. Ce souflet donné aux sots et aux fripons du fonds de la Scitie était pour moy une grande consolation, et devait vous plaire. Mais je crains bien qu'Ivan ne détrône notre bienfaictrice, et que ce jeune Russe élevé en russe, chez des moines russes ne soit point du tout philosophe.
Je vous conjure mes divins anges, de me dire ce que vous savez de ma Catherine.
Je baise le bout de vos ailes plus que jamais.
V.