1772-06-22, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

J’ai reçu enfin deux consolations de mon cher ange du 15 et du 16.
Vous savez que l’avocat Polonais, qui d’abord avait été pour l’impression de son factum, et qui s’était ensuite réservé pour l’audiance, voulait absolument différer cette audiance même. Vous savez avec quel zèle il retravaillait son mémoire. Il est infiniment soulagé d’apprendre vos sages résolutions, et il vous suplie de vouloir bien lui renvoier le factum, tel qu’on devait le prononcer en dernier lieu, après avoir passé par l’étamine des réviseurs. Vous avez été véritablement ange gardien dans toute cette affaire, et vous mettrez le comble à vos bontés en me renvoiant sans délai ce factum auquel on aura tout le tems de travailler.

Je réponds à la lettre du 16, que je suis comme un homme mort dont chacun s’aproprie les meubles et en fait ce qu’il veut. Figurez vous qu’on fait actuellement quatre éditions de mes sottises, sans que je m’en mêle, sans qu’on me consulte. Les Cramer même ont insèré dans leur recueil bien des choses qui ne sont pas de moi. On me mutile, on m’estropie à Paris et dans le païs étranger. Je n’avais envoié qu’à M: le Mal de Richelieu les Cabales; apparemment quelqu’un de ses secrétaires s’en est emparé. On me mande qu’on les a imprimées indignement. C’est ma destinée, il faut la subir.

Le Kain m’écrit qu’il poura venir au mois de septembre; il sera le très bien venu et le très bien reçu, et il poura gagner quelque argent à la comédie de Genêve. S’il veut jouer Tancrede, Zaïre, Alzire, Mérope, Sémiramis, etc.a il trouvera des actrices qui pouront un peu le seconder.

Vous ne me parlez point de la mort de Made la Duchesse d’Aiguillon, vous ne me dites point si Mr le Mal De Richelieu revient, et vous ne me dites point qui a l’administration de la Corse. Tout celà n’eût coûté qu’un mot dans vôtre aimable Lettre, mais je vous en prie, envoié moi le plaidoier de nôtre avocat.

Je suis toujours tendrement attaché à vos deux amis qui sont à la campagne. Je suis fort aise d’y être aussi, mais fort fâché d’être si loin de vous. Je me mets toujours à l’ombre des ailes de mes anges. Mr De Thibouville ne m’écrit point mais au nom de Dieu envoiez moi la pièce par Marin.

V.