1762-07-29, de Voltaire [François Marie Arouet] à Théodore Tronchin.

On voit bien que nôtre Esculape est le fils ainé d'Apollon.
Toutes ses réflexions me paraissent très justes.

Je suppose qu'il a lu le sçavant exposé de Révérend Donat Calas, théologien très profond, tel qu'il était d'abord; je l'ai extrèmement adouci, je fais parler Donat en homme qui répète avec timidité ce que ses maîtres lui ont appris, et qui ne demande qu'à être mieux instruit. Ce tour me parait très naturel, il faut qu'un protestant parle en protestant, mais qu'il ne révolte pas les Catholiques.

Il me parait que loin d'animer les dévots contre lui, il les invite à le convertir: d'ailleurs, ce n'est point le principal acteur de la pièce qui parle. Donat Calas, qui n'était pas de cette horrible Tragédie, remplit seulement le devoir d'un fils.

Ensuitte vient Pierre, principal personage qui raporte en éffet le procez; il met sous les yeux tout ce qu'il a fait, tout ce qu'il a vu, et tout ce qui est consigné au grêffe, il montre la vérité dans tout son jour.

Tout celà ayant été fait très à la hâte, parce que le temps pressait, le 13e mars a été pris pour le 13e 8bre et a été corrigé à la marge.

J'avoue, mon cher maître, qu'un homme qui se plaint d'avoir été étranglé est une ironie mais le fait est tel, un témoin a déposé cette absurdité et je ne sçais s'il est mal de mêler cette seule ironie aux vérités touchantes et terribles qui sont dans le mémoire; cependant, s'il est encor temps, et si vous le jugez à propos, nous corrigerons cet endroit et tous ceux que vous indiquerez. Je verrai si tout est imprimé, et ce qu'on peut faire. Je tâcherai d'aller chez vous avant ou après dîner, quand j'aurai fait mon corps.

J'ai encor un mot à dire touchant l'archevêque de Paris. Je crois que made la marquise de Pompadour se mêlera plus que lui de cette affaire, et, entre nous, je ne sçais s'il est mal d'exposer en une seule page tout ce qui peut rendre la religion des Calas excusable aux yeux des Jansénistes, qui dans le fond pensent assez comme Claude, Evêque de Turin. Il me paraît que tous les parlements de France, excepté celui de Toulouse, marchent à grands pas vers un protestantisme mitigé. Je soumets le tout à vos lumières et à vôtre humanité, et vous embrasse tendrement.