1762-07-21, de Voltaire [François Marie Arouet] à Germain Gilles Richard de Ruffey.

J'ai l'honneur de vous renvoyer, Monsieur, vôtre numéro seize.
Tout ce que j'ai lu sur cette affaire achève de me prouver que toutes nos loix ont comme Janus deux visages, ou plutôt, que nous n'avons point de loix, et qu'aucun état en France n'a de bornes reconnues. Le numéro 16 m'a fait bâiller, mais je crois que les pièces que je vous envoye vous feront pleurer et frémir. Vous verrez combien l'esprit de fanatisme est plus funeste que l'esprit de corps. Cette affaire commence à faire à la cour le bruit qu'elle mérite, et peut être ne fera t'elle que du bruit.

Encor une fois, plus je vois tout ce qui se passe dans le monde, et plus j'aime ma retraitte. Il est vrai que Jean Jaques brûlé à Genêve, et banni de Berne, est retiré dans une vallée inconnue de Neufchatel; maus je doute que ses paradoxes et ses contradictions politiques plaisent au Roy de Prusse. Ce petit bonhomme a voulu être singulier, et ne sera jamais que singulier. On dit qu'un jour le chien de Diogène rencontra la chienne d'Erostrate, et lui fit des petits dont Jean Jaques est descendu.

Adieu, Monsieur, les tracasseries de vôtre parlement finiront, parce qu'il faut que tout finisse. Je vous embrasse tendrement.

V.