1762-05-31, de Philibert Cramer à Ami Camp.

Faites moi le plaisir mon cher ami de me conter l'histoire de cette Pucelle qui a si mal réüssi.
Je reçois une lettre de Mr. Tholosan, moitié figue, moitié raisin à laquelle je ne comprens rien, et qui ne me dit rien sinon qu'il a remis le ballot entier à Mrs. Duplain, sans en avoir distribué un seul exemplaire à ses amis. Il se plaint très mal à propos de ce que j'en ai envoié un trop grand nombre; tandis que nous étions convenus formellemnt que je pouvois aller jusques à cinq cent, si le ballot pouvoit les contenir. On y avoit mis mal à propos quelques exemplaires d'un autre livre qu'ils ont trouvé dangereux, et qu'ils nous renvoient. A la bonne heure, ce n'est pas ma faute si on l'a envoié, et je ne trouve pas mauvais qu'ils le renvoient, mais qu'est ce que cela fait au reste? Mrs. Duplain de leur côté font les difficiles. En vérité, vos gens de Lion sont de grands pédants, et ils regardent comme dangereux ce dont on ne fait que rire à Paris. Mr. Tholosan met toujours sa place en avant, et me dit dans toutes ses lettres avec un ton d'importance, qu'il est magistrat, et qu'un magistrat ne doit pas se compromettre. Qui lui parle de se compromettre? Il m'a ofert de me rendre ce petit service. Je l'ai accepté, après quoi il me fait mille mauvaises dificultés qui si je les avois prévues m'auroient fort détourné de lui avoir cette obligation.

La Pucelle se vend à Paris aussi publiquement que les œuvres de Bossuet, elle s'y réimprime, et elle ne peut pas paroître dans Lion. Je n'y comprens rien.

Faites moi la grâce mon cher ami de me dire ce que sont devenus les exemplaires brochés que je croiois faits pour la ville. Mr. Tholosan devoit en distribuer quarante ou cinquante à ses amis; je comprens qu'il n'en a rien fait, mais je voudrois en être assuré, pour prendre quelque parti. Il m'avoit dit aussi qu'il en feroit porter par un crocheteur où je voudrois, je l'avois prié en conséquence d'en envoier cent à Regnault, Libraire, rue Mercière. Il ne le veut plus aujourd'hui; Mrs. Duplain s'en défendent; tous les scrupules de ces Messieurs dérangent absolument mon plan. Voudriez vous avoir la complaisance de les faire retirer de chez Mrs. Duplain, et de les envoier chez Regnault sans vous nommer? Si vous avez aussi des scrupules, et si cela vous fait quelque peine, je m'adresserai à de Tournes.

Mille pardons mon cher ami; je voudrois fort vous avoir épargné tout cet embarras, et n'avoir pas mis la maussade complaisance de Mr. Tholosan à cette épreuve.

Madame Dalbertas, qui me charge de mille choses pour vous, vous prie de faire paier de sa part dix Louis à Mr. de Sincène, 1er commis et subdélégué de Mr. l'Intendant, pour le compte de Mr. le Chevalier de la Michodière, à qui elle doit cette somme, et qui lui a indiqué cette voie: Elle vous prie aussi de faire paier le petit mémoire ci joint; je suis chargé de sa part de vous faire cent mille excuses et cent mille remerciemens. Je vous en fais tout autant pour mon compte de tout l'ennui que je vous cause, et je vous assure bien sincèrement que je serois très enchanté de trouver des occasions de vous être bon à quelque chose, et de vous convaincre que personne ne vous est plus attaché, et n'est plus vôtre serviteur que

Philibert Cramer