22e Mars 1762, à Ferney
Je crois Monsieur que les voiageurs que vous avez eu la bonté de m'adresser auront été un peu étonnez de la cohue qu'ils trouvèrent dans un hermitage qui devrait être consacré au repos.
Nous leur donnâmes la comédie et le bal, mais monsieur votre parent eut bien de la peine à trouver un lit. Ils furent si effarouchez de notre désordre que je n'ay plus entendu parler d'eux. J'en suis très fâché. Votre parent monsieur me parut infiniment aimable, dans la presse; et j'entrevis que dans la société il doit être de la meilleure compagnie du monde.
Vous ne voulez donc pas que je boive du vin de madame Lebault. Vous m'avez abandonné, vous ne me jugez ny ne m'abreuvez. Je n'ay plus je crois de procez avec M. le président de Brosse mais aussi je n'ay plus de son vin de Tourney. J'ay abandonné le tout à un fermier pour éviter toutte noise.
Vous avez entendu parler peutêtre d'un bon huguenot que le parlement de Toulouse a fait rouer pour avoir étranglé son fils. Cependant ce saint réformé croiait avoir fait une bonne action, attendu que son fils voulait se faire catholique, et que c'était prévenir une apostasie. Il avait immolé son fils à dieu, et pensait être fort supérieur à Abraham, car Abraham n'avait fait qu'obéir, mais notre calviniste avait pendu son fils de son propre mouvement, et pour l'acquit de sa conscience. Nous ne valons pas grand chose, mais les huguenots sont pires que nous, et deplus ils déclament contre la comédie.
J'ay l'honneur d'être avec bien du respect
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur.
Voltaire