1762-03-03, de Nicolas Claude Thieriot à Voltaire [François Marie Arouet].

Je ne suis point paresseux, mais en vérité, j'ai été fort languisst et fort incommodé.
L'exçês et la continuité des tems pluvieux, froids et malsains ont empêchés la fraternité de se visiter et de se réunir selon leur usage. On a arresté la pièce de M. Picardin après la huite représentation et une recepte de près de vingt mille francs, et on la suspend jusqu'après pâques; et on a très bien fait pour laisser notre peuple fallot et inconcevable assouvir sa fureur et sa curiosité pour la réunion de L'opéra comique et de la comédie Italienne qui ont fait abandonner Armide et le Théâtre français. C'est M. le Maréchal de Richelieu qui a été l'auteur de ce projet de réunion, et il n'y avoit que lui qui pût surmonter les obstacles et les difficultés que son entreprise a éprouvée. Voilà donc l'Opéra Comiqe troupe du Roi et sous les ordres des quatre Gentilhoes de la chambre. Quand le Public qui se livre à outrance à ces deux Monstres de comédie en sera bien regorgé, l'Ecueil du Sage aura son tour et reprendra ses droits; son mérite en sera mieux senti. Vous avés réalisé l'espérance et la bonne opinion que j'avois de l'indult que vous m'aviés placé en me faisant remettre Mil francs par frère Damilavile. L'accroissement inespéré de cette rosée bienfaisante m'a pénétré de plaisir, de tendresse et de reconnoissance; et je suis presque délivré d'inquiétudes et de chaînes qui me suivoient partout, et je suis comme un asthmatique bien soulagé d'une pénible et fatiguante oppression. On vous a transmis tout ce qu'il y avoit à vous faire savoir sur l'Ecueil du Sage qu'on fera reprendre sous le nom du Droit du Seigneur conjointement.

Mais voici bien un autre objet d'étonnement et de considération, c'est Olimpie dont on m'a procuré une lecture privée et à loisir avec une autre deux jours après les frères rassemblés. Chaque jugemt privé qu'on avoit écrit d'avance d'une manière succinte se trouva général et conforme et n'en fut que plus confirmé par la lecture de la petite assemblée. J'ai sçu depuis que l'ouvrage avoit eu le même effet sur Protagoras et Mle Clairon, et j'ai été fort surpris d'aprendre combien M. Dargental pensoit différemt. Ce n'est pas que nous n'adoptions le fond du sujet comme très brillant, très théâtral et très Tragiques, mais La composition, l'ordonnance et les caractères nous ont paru fort loin de la perfection qu'il demande et il nous a paru manquer des pensées et des sentimts qu'il comporte. Le secrétaire général doit vous avoir spécifié les détails.

Je ne sais si on vous a fait part il y a quelque trois à quatre mois d'un petit apologue ingénieux qu'un jeune M. Guichard m'aporta chés moi. Je ne comprends pas par quelle bizarerie il est devenu ces jours cy Vaudevile dans tout Paris. Il n'y a pas une maison où il n'en soit question.

Je te tiens souris téméraire
Le Trébuchet m'a fait raison.
Ah! tu rongeois, Côquine, un tome de Voltaire
Tandis que j'avois là les feuilles de Freron.

Parmi les plus solides et les plus excellents Escrits qui se font sur les Jésuites, en voici un qui obtint du consentemt général la primauté; c'est le Réquisitoire et l'apel comme l'abus de M. de Chalotais, Procureur Général du Parlemt de Bretagne. Lisés vite, c'est un Magistrat et un homme d'Etat que vous allez entendre. M. l'abé Chauvelin et M. Seguier le proclament leur Maitre.

Si le traité du Roi de Prusse avec Pierre 3 étoit vrai, la face des affaires changeroit bien. Mais le Duc de Choiseul est trop heureux, sa fortune me fait espérer qu'il n'en est rien.

Vous savés que M. le Maréchal et le Comte de Broglie ont été exilés sur l'examen de leur mémoire. On joüa Tancrede à Paris le soir que la nouvelle en fut répandüe. Lorsq. mle Clairon eut dit ces Vers:

On dépouille Tancrède, on l'exile, on l'outrage,
C'est le sort d'un héros &c.

on fit l'aplication, et on applaudit si fort qu'on ne remettra la pièce que dans quelq. jours d'ici.