26e janv: 1762 aux Délices
O mes anges! je vous remercie d'abord, vous, et mr le comte de Choiseul de l'éclaircissement que je reçois sur les propositions de mariages faites en 1725 entre deux têtes couronnées.
Je vous prie de dire à mr le comte de Choiseul, qu'un jour le maréchal Keit me disait, Ah! mr on ment dans cette cour là, encore plus que dans la cour de Rome.
Mais vous m'avouerez que si les Scithes savent mentir, ils savent encore mieux se battre, et qu'ils deviennent un peuple bien redoutable. Je suis leur serviteur, comme vous savez, et un peu le favori du favori, mais j'avoue qu'ils mentent beaucoup, et je ne l'avoue qu'à mes anges.
Il est fort difficile de trouver à présent les sermons du rabbin Akib. On tâchera d'en faire venir de Smirne incessamment.
A l'égard du capitaine des chevaux, si les fiançailles ne sont pas épousailles, désir passager n'est pas fiançailles: on attendra tranquillement que dieu et le hasard mettent fin à cette belle aventure.
Je vais tâcher, tout malingre que je suis, d'écrire un mot à mr le président de la Marche, et le remercier de son beau zèle pour mon nom. Vous devriez bien le détourner du malheureux penchant qu'il semble avoir encore pour cette secte abominable contre laquelle le rabbin Akib semble porter de si justes plaintes.
Les jésuites et les jansénistes continuent à se déchirer à belles dents. Il faudrait tirer à balle sur eux, tandis qu'ils se mordent, et les aider eux mêmes à purger la terre de ces monstres. Vous me trouverez peut-être un peu sévère dans ce moment, mais c'est que la fièvre me prend, et je vais me coucher pour adoucir mon humeur.
Je vous demande en grâce, mes divins anges, de me renvoyer mes deux Cassandre, et si la fièvre me quitte, vous aurez bientôt un Cassandre selon vos désirs. Mille tendres respects.
Encore un mot, tandis que j'ai le sang en mouvement. Je suis douloureusement affligé qu'on ait retranché l'homme qui paye noblement quand il perd une gageure, et la réponse délicieuse, à mon gré, Ai je perdu? Nous nous gardons bien sur notre petit théâtre de supprimer ce qui est si fort dans la nature, car nous n'avons point le goût sophistiqué, comme on l'a dans Paris, et nos lumières ne sont point obscurcies par la rage de critiquer mal à propos, comme c'est la mode chez vous, à une première représentation. Il faut avoir le courage de résister à ces premières critiques, qui s'évanouissent bientôt.
Je crois que ce qui me donne la fièvre est qu'on ait retranché dans Zulime le J'en suis indigne du cinquième acte, qui fait chez nous le plus grand effet, et qui vaut mieux que Eh bien mon père! dans Tancrède. Puisqu'on m'a ôté ce trait de la pièce, qui est le meilleur, je n'ai plus qu'à mourir, et je meurs (du moins je me couche). Adieu.