A Ferney, par Genève, 30 octobre 1761
Monsieur, Je ne pris pas la liberté de vous envoyer une réponse pour monsieur de Schouwalow, parce que sa lettre n'était qu'une réponse à ma précédente.
Depuis ce temps j'ai reçu de lui un gros paquet par mr de Czernichew, qui me fait l'honneur de m'écrire de Vienne. Je vous confie, monsieur, mon ignorance et mes scrupules. Je ne sais pas s'il est envoyé de votre cour à Vienne, et j'ai grande peur d'avoir manqué à l'étiquette. En ce cas j'implore votre miséricorde et la sienne. Vous voyez, monsieur, que je suis mal instruit, au pied des Alpes. Un homme à l'erte connaîtrait au moins par les gazettes les noms de tous les ministres de l'Europe; mais je suis plus occupé des héros de théâtre que des héros des cours. La prise de Shwednitz est seulement venue jusqu'à moi par retentissement. C'est à mon gré la plus singulière action de toute la guerre. J'espère que les échos de mes montagnes m'apprendront aussi la prise de Colberg.
Tout enterré que je suis, j'ai cependant su le petit malheur arrivé à frère Malagrida; cela m'a fait de la peine pour st Ignace. Il n'y a pas longtemps qu'un jésuite portugais vint se présenter à moi. Je lui proposai d'être mon laquais, et il accepta; mais ma nièce n'a pas voulu d'un jésuite qui servît à boire, parce qu'elle n'avait pas de thériaque de Venise.
Je suppose que vous avez lu le mémoire historique de mr le duc de Choiseul; il l'a fait en vingt-quatre heures: pour moi j'ai fait une tragédie en six jours. Recevez les tendres respects de l'ermite
V.