au château de Ferney en Bourgogne, par Genêve 30 juill: 1761
Dans une petite transmigration, Monsieur, d'une maison à une autre, la Lettre dont vous m'honorâtes en datte du 1er juin, s'était égarée.
Made Du Perron m'aiant apris à qui je devais cette Lettre, j'ai été fort honteux, j'ai cherché longtemps, et j'ai enfin trouvé. Mais ce que je ne trouverai pas, c'est la solution de vôtre problême. Quand on demanda à Panurge lequel il aimait le mieux d'avoir le nez aussi long que la vüe, ou la vüe aussi longue que le nez, il répondit qu'il aimait mieux boire.
Vous me demandez lequel est plus plaisant de savoir, tout ce qui s'est fait, out tout ce qui se fera: c'est une question à faire aux prophêtes; ces messieurs qui connaissaient l'avenir si parfaittement étaient sans doute instruits également du passé. Il faut être inspiré de Dieu pour sçavoir bien parfaittement son prétérit, son futur, et même son présent; notre espèce est fort curieuse et fort ignorante. Celui qui sçaurait l'avenir sçaurait probablement de fort sottes, et de fort tristes choses; et entre autres l'heure de sa mort, ce qui n'est pas extrêmement plaisant à contempler. J'aime mieux au fond de la boëte de Pandore, l'espérance que la science, et je suis de l'avis d'Horace:
Ce que je sçais le mieux, c'est que j'ay l'honneur d'être avec tous les sentiments que je vous dois
Monsieur.