1761-06-30, de Étienne Lauréault de Foncemagne à Anne Charlotte de Crussol-Florensac, duchesse d'Aiguillon.

Je suis forcé de vous avouerm Madame, que je m'étois flatté bien mal-à-propos, quand j'ai crû pouvoir remplir votre attente.
J'éprouve à Paris, ainsi qu'à St Cloud, qu'il faut que je renonce à tout projet de travail suivi, tant que mes journées seront coupées, comme elles le sont actuellement. De quelque façon que je me retourne, pour chercher à simplifier la besogne, Je vois clairement, par l'expérience que j'en ai faite, à différentes reprises, que l'exécution la plus simple demande encore beaucoup plus de temps qu'il ne m'en reste. Heureusement, le Testament Politique peut se passer des accessoires que j'avois intention d'y joindre. Qu'importe, en effet, qu'on l'ait attaqué, et que l'on dispute au cardinal la gloire médiocre d'en être l'auteur? L'honneur que les héritiers de son nom feront à l'ouvrage, en l'adoptant, suffit pour le vanger: ce sera, d'ailleurs, de leur part une protestation de l'intérêt qu'ils y prennent, un désaveu de l'indifférence qu'on leur a quelquefois reprochée, et en même temps une des meilleures preuves qu'on puisse opposer à M. de Voltaire, qui se prévaloit de leur silence. Si donc vous persistez, Madame, à désirer qu'on imprime le Testament, et qu'on s'en tienne à donner le texte purement et simplement, le travail de l'Editeur se réduira à très peu de choses: Voici en quoi il consistera.

1. Il ne vous faut plus qu'une courte préface, pour annoncer la nouvelle Edition et les avantages qu'elle aura sur les précédentes. Je crois qu'il sera facile d'en trouver le fond dans celle que je vous ai lue: elle est à votre service.

2. Il s'agira de choisir la meilleure leçon, entre les variantes, peu importantes, qui ont été recueillies. Cette opération n'est que vétilleuse: Mr Ménard et l'imprimeur peuvent s'en charger. Je verrai mardi M. Ménard; et je lui remettrai le cahier des variantes.

3. Il est indispensable d'imprimer la suite du lr chapitre du Testament, que le P. Griffet a publiée: mais il sera bon de conférer avec le ms. de la Bibliothèque du Roi, le texte du P. Griffet, pour y corriger quelques fautes de copiste, que j'ai remarquées, en comparant rapidement l'un avec l'autre.

Enfin il est nécessaire de placer au bas de la section qui traitte de l'appel comme d'abus, une note assez étendue, pour servir de correctif aux faux principes du cardinal. J'offre de la fournir. Peutêtre seroit-il encore plus sage de prier M. de Malesherbes de la faire rédiger par un canoniste.

Quant à ma vieille Lettre, il n'y faut point penser: elle est surannée, et, véritablement, devenue insuffisante depuis la dernière Edition des œuvres de M. de Voltaire, qui a, non seulement ajouté de nouvelles objections et fortifié les anciennes, mais qui de plus a tellement changé le plan de son attaque, que mes défenses n'y répondent plus. Ce ne seroit pas assez de décomposer et de refondre cette lettre; il faudroit faire un ouvrage tout neuf; celui que je m'étois proposé d'abord, seroit devenu assez considérable, par les observations incidentes que je comptois y faire entrer: J'en ai, à peu près, tous les matériaux; la difficulté est de les mettre en œuvre: car ce n'est pas le cas de donner un croquis: l'adversaire à qui nous avons affaire, mérite qu'on se présente au combat avec toutes ses forces. Ainsi, j'aime beaucoup mieux lui laisser la satisfaction de voir sa critique demeurer sans réponse, que de lui donner l'avantage de penser qu'on ne pouroit le réfuter que foiblement. Si jamais je puis recouvrer deux mois de suite d'une liberté complète, J'essaierai d'exécuter, ce qu'à présent je n'ose entreprendre. Donnez moi terme jusques là, Madame, si vous voulez que j'aie l'honneur d'être le champion du cardinal. Toute réflexion faite, je ne puis me résoudre à courir le risque de ne l'être aujourd'hui que d'une façon peu digne de Lui, de vous et de moi. Je suis au désespoir que mon Zèle n'ait servi qu'à me faire illusion: Recevez, je vous prie, Madame, avec bonté mes excuses et mes regrets.