1770-01-05, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Je vous supplie instamment, mon cher ange, de me rendre le plus important service.
Il faut que made Le Jeune me déterre le livre du père Griffet ou de frère Griffet. On imprime la lettre A d'un supplément au dictionnaire encyclopédique dans le pays étranger: et frère Griffet doit avoir sa place à l'article ana, Anecdote. On peut envoyer le livre aisément par la poste en deux ou trois paquets. Pourvu qu'un paquet ne pèse pas plus de deux livres, il arrive à bon port. Marin, Suard peuvent le contre-signer, rien n'est plus aisé. Made Le Jeune ou son ayant cause recevra une lettre de change payable au porteur. Ayez la bonté d'avoir pitié de ma passion qui est très vive. J'abuse de votre complaisance mais les jeunes gens sont actifs, ils se démènent pour rendre service. Je vous l'avais bien dit que vous n'aviez que soixante et neuf ans. Vous êtes bien injuste et bien lésineux de m'en accorder à peine soixante et quinze, lorsque je suis possesseur de la soixante et seizième. Il faut dire que j'en ai soixante et dix-huit, et n'y pas manquer, car après tout on se fait une conscience d'affliger trop un pauvre homme qui approche de quatre-vingts.

Je suis bien étonné que cette comédie dont vous parlez soit si drôle.

Par le sang-bleu, messieurs, je ne croyais pas être
Si plaisant que je suis.

Mais j'ai plus de tendresse pour les Scythes, et une passion furieuse pour les Guèbres. Je tiens que ces Guèbres feraient une révolution.

Mr le duc de Praslin a eu la bonté de m'envoyer un détail touchant les diamants pris par les corsaires. J'ai bien peur que ce ne soit une affaire finie, et les propriétaires des diamants n'aient aucun renseignement, moyennant quoi le corsaire se moquera d'eux. Je m'en lave les mains; et je remercie m. le duc de Praslin de toute sa bonté. Made Denis et moi nous souhaitons à mes deux anges santé et prospérité cette année 1770. Je ne me suis jamais attendu à voir cette année, et j'avais fait plus d'un marché qui a fini à l'an 1760, tant je me suis défié toujours de mes forces. J'ai été heureusement trompé.

Mille tendres respects à vous deux.

V.