1761-06-06, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Augustin Feriol, comte d'Argental.

Fy les vilains hommes qui boivent de ça.
Donnez moy encor pour trois sous, disait une brave Allemande.

Vous en voulez donc encor! mes divins anges. En voicy et grand bien vous fasse. Toutte la cargaison est pour le petit troupeau des honnêtes gens. Les libraires n'en doivent point tâter, et le pain des forts ne doit pas être jetté aux chiens.

Laissez là vos procez; donnez nous des tragédies. Cela est bientôt dit; voicy mes divins anges le commentaire de votre texte. Vous faites des dépenses considérables pour rebâtir une église, des prêtres vous font un procez criminel pour des os de morts dérangez dans un cimetierre, et ils veulent que vous soyez puni de vos bienfaits. Vous êtes uni avec vos vassaux et avec votre curé. Vous avez une procuration d'eux tous pour en appeller comme d'abus au parlement. Les entrepreneurs restent les bras croisez et demandent des dommages. Abandonnez les entrepreneurs, votre curé, vos vassaux. Laissez là les intérêts du corps de la noblesse qu'elle vous a fait l'honneur de vous confier. Voyez périr une malheureuse petit province que vous commenciez à tirer de la plus horrible misère. Laissez là les défrichements, les desséchements des marais, le tout pour nous faire vite une mauvaise tragédie qui ne poura certainement être que détestable au milieu de tous ces tracas.

O anges que me demandez vous? Pour dieu laissez moy achever mes affaires. Je me suis fait une patrie et des devoirs. Qui m'exhortera mieux que vous à les remplir? Il faut avoir l'esprit net pour faire une tragédie. Laissez moy nettoier ma tête.

A propos de scandale du texte en avez vous jamais vu un qui approche de celuy d'Oola et d'Oliba dans la lettre de ce cher mr Eratou à ce cher mr Clokpicre?

On dit qu'il y a trois jeunes gens qui s'élèvent, un Eratou, un Clokpicre et un Dardelle, et qu'ils promettent beaucoup. Je ne connaissais que l'eau d'Ardelle. Je ne sçais si elle est bonne pr la brûlure.

Quoy, Terée honni? Philomele siflée au printemps? Cela n'est pas juste.

Faire payer le magazin de Vezel à Mrs de Prusse, voilà ce qui me paraît juste ou du moins très bien fait.

Mais ce pauvre le Kain! Ah quand il serait beau comme le jour, il n'aurait rien eu.

Et l'ami Pompignan qui fait la vie du feu duc de Bourgogne! et qui a prononcé un beau discours sur l'amour de dieu!

Dieu conserve longtemps le Roy!