de Ferney 10 avril [1761]
Je vous assure monsieur que vous me faites grand plaisir en m'apprenant que l'Académie va rendre à la France et à l'Europe le service de publier un recueil de nos auteurs classiques avec des notes qui fixeront la langue et le goût, deux choses assez inconstantes dans ma volage patrie.
Il me semble que mlle Corneille aurait droit de me bouder si je ne retenais pas le grand Corneille pour ma part. Je demande donc à l'Académie la permission de prendre cette tâche en cas que personne ne s'en soit emparé.
Le dessein de l'Académie est il d'imprimer tous les ouvrages de chaque auteur classique? Faudra-t-il des notes sur Agésilas et sur Attila, comme sur Cinna et sur Rodogune? Voulez vous avoir la bonté de m'instruire des intentions de la compagnie? Exige-t-elle une critique raisonnée? Veut elle qu'on fasse sentir le bon, le médiocre, et le mauvais, qu'on remarque ce qui était autrefois d'usage et ce qui n'en est plus, qu'on distingue les licences des fautes? Et ne propose-t-elle pas un petit modèle auquel il faudra se conformer? L'ouvrage est il pressé? combien de temps me donnez vous?
Puisqu'on veut bien placer ma maigre figure sous le visage rebondi de mr le cardinal de Bernis, j'aurai l'honneur de vous envoyer incessamment ma petite tête en perruque naissante. L'original aurait bien voulu venir se présenter lui même et renouveler à l'Académie son attachement et son respect, mais les laboureurs, les vignerons, et les jardiniers, me font la loi, e nitido fit rusticus. Comptez cependant que dans le fond de mon cœur, je sais très bien qu'il vaut mieux vous entendre que de planter des mûriers blancs.