au château de Ferney en Bourgogne, ce 29e mars 1761
Monsieur,
Je doute que vos grandes occupations vous laissent le temps de lire mon fatras, et que vôtre goût, vous en laisse la patience; mais pour moi je relirai souvent la lettre charmante dont vous m'avez honoré: elle respire une sensibilité, une bonté de cœur, et une finesse de goût qu'on a rarement dans la place que vous occupez.
Le fardeau et le détail des affaires n'ôtent rien aux agréments de votre esprit; c'est vous, Monsieur, qui me faites véritablement Bourguignon. M. le Président de Rufey m'honore d'une place dans votre Académie; Mr le Beau me procure du vin de Bourgogne; mes terres écrasées de tous côtés par le Mont Jurat me soumettent à votre Parlement; mais ce sont vos bontés qui me font le cœur Bourguignon, et qui me donnent mes lettres de Naturalité; elles sont signées aussi La Marche, Rufey et le Beau. Tout m'engage à venir présenter mes tendres remerciments dans vôtre Capitale. Ma malheureuse santé est le seul obstacle. Je suis condamné à des assujétissements continuels qui rendraient la vie odieuse, si la philosophie ne la rendait suportable. C'est cet état qui me réduit à vous écrire d'une main étrangère. Je vous prie de me le pardonner, et de n'envisager que le respect, et tous les sentiments avec lesquels j'ai l'honneur d'être,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire