1738-02-15, de Claude François Jore à René Hérault.

Monseigneur,

Je suis trop pénétré de votre justice pour rien apréhender en vous en demandant de vous même; si vous voulez bien prendre la peine de jetter les yeux sur les raisons qui m'y authorisent et que vos continuelles occupations vous ont sans doute fait mettre en oubly, j'ose me flatter l'obtenir.
Lorsque j'eus fait assigner Voltaire pour me payer les quatorze cens livres cinq sols qu'il me doit, vous voulûtes bien à sa prière arrêter le cours de la procédure, persuadé que ma demande était injuste; mais détrompé par le mémoire que je rendis public vous me fites consentir aux mille livres qu'il m'avoit offerts et dont vous vous rendîtes garand. Je ne balançay pas de m'y soumettre. Vous m'assurâtes, Monseigneur, que ce consentement opéreroit mon rétablissement, que vous en faisiez votre affaire. Lorsque je me présentay pour toucher le payement, vous m'apprites qu'il y avoit un jugement rendu par monsieur de Maurepas qui me déboutoît de ma demande et condamnoit Voltaire en cinq cens livres d'aumône. Je l'appris de votre bouche et le reçus avec soumission et vous eûtes la bonté de me renouveler encore la certitude de mon rétablissement. Voilà deux ans que je me repose sur l'honneur de votre protection sans voir finir mes peines. L'opposition de m. de Pontcarre a formé un obstacle que son consentement a dû faire lever; cependant je me vois tout à la fois privé de mon dû et sans être rétably et par conséquent sans savoir où donner de la tête, sans pain pour moy même et sans en pouvoir procurer à mes enfans. Si la grâce de mon rétablissement est surnaturelle votre crédit, monseigneur, peut me procurer quelque employ pour me faire subsister et ma famille. Vous me mettez en situation de pouvoir vous adresser ces paroles du prophète Roy, In te Domine speravi, non confondar in œternum. Qu'elles ayent leur effet, je m'en rendray digne et vous en auray une éternelle reconnoissance. J'ai l'honneur d'être avec un très profond respect,

Monseigneur,

Votre très humble et très soumis serviteur

Jore