1er décembre 1760
Il faut que vous m'aidiez à faire une bonne action.
Mes bâtiments en souffriront, mais il faut courir au plus pressé et au plus plaisant.
Voici ce plaisant. Les jésuites qui demeurent à Ornex, auprès de Ferney, ne doivent aimer que les biens célestes. Ils ne sont là que pour convertir des huguenots; mais pour les convertir, il ne faut pas s'emparer de leurs biens. Deux vieilles damnées, nommées mesdemoiselles Balthasar, possédaient à Ornex un bien d'environ dix-huit mille livres de France. Les frères jésuites ont acquis saintement ce domaine en achetant à vil prix les dettes des créanciers, en payant six cents livres pour douze cents, et le reste en messes. J'ai déterré les héritiers véritables, pauvres gentilshommes, se battant très bien pour le roi, et n'ayant pas de quoi chasser les jésuites de leur héritage. Ils n'ont que de la poudre et leur épée, cela ne suffit pas. Il faut de l'argent: c'est moi qui l'avance. Je crois bien que je déplairai à frère Berthier; mais je crois que je ne vous déplairai pas, et que tous les honnêtes gens m'en sauront gré. Votre ville n'en sera pas fâchée. Que faire donc, mon cher ami? L'impossible pour m'envoyer sur le champ dix-huit mille livres en or pour être déposées à Gex. Elles ne porteront de longtemps intérêt; d'accord. Il faudra ne pas travailler de longtemps aux embellissements de Ferney; volontiers. Il est si agréable de chasser des jésuites, qu'il faut tout sacrifier à cette œuvre pie.
Ainsi donc, mon cher ami, secret et argent. Cette petite anecdote figurera un jour dans l'histoire de la compagnie de Jésus et dans la mienne.