1760-09-10, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Cette lettre vous sera remise, mon cher & illustre confrère, par mr le Chevalier de Maudave, qui en allant à Port-Mahon, prend comme vous le voyez le grand tour pour vous chercher.
Il vous a écrit ces jours-ci une grande lettre sur l'Inde, qui doit être pour lui la meilleure recommandation auprès de vous; mais enfin il exige qu'à l'excellente lettre qu'il vous a écrite, je joigne une mauvaise lettre de moy, et que je sois en cette occasion la mouche du coche. Je ne doute pas, mon cher Philosophe, qu'il ne trouve auprès de vous tous les agrémens que les gens d'esprit, les gens instruits, et les gens aimables ne peuvent manquer d'y trouver. Mon plus grand désir auroit été de l'accompagner, mais mes affaires et les circonstances me cloüent à regret dans cette Babylone jusqu'à la paix. A dieu, mon cher maître, conservez vous, pendant que tant d'hommes s'égorgent, & ne vous flattez pas qu'on puisse ni éclairer, ni améliorer l'espèce humaine. Le parti le plus sage est de s'en moquer, c'est celui que vous avez pris, & celui que je veux suivre. Interim vale. Mes respects à made Denis.