1756-07-28, de Jean Le Rond d'Alembert à Voltaire [François Marie Arouet].

Puisque la montagne ne veut pas venir à Mahomet, il faudra donc, mon cher & illustre confrère, que Mahomet aille trouver la montagne.
Oui j'aurai dans quinze jours le plaisir de vous embrasser, & de vous renouveller l'assurance de tous les sentimens d'admiration que vous m'inspirez. Je compte être à Geneve au plutard le 10 du mois prochain, & y passer le reste du mois. Je vous y porterai les vœux de tous vos compatriotes, & leur regret de vous voir si éloigné d'eux. Je m'arrête icy quelques jours pour y voir un très petit nombre d'amis, qui veulent bien me montrer ce qu'il y a de remarquable dans la ville, & surtout ce qu'il peut être utile de connoitre pour le bien de notre Encyclopédie. Je me refuse à toute autre société, parceque je pense avec Montaigne que d'aller de maison en maison faire montre de son caquet, est un métier très messéant à un homme d'honneur. Nous avons ici une comédie détestable & d'excellente musique italienne médiocrement exécutée; le bruit a couru icy que vous deviez venir entendre melle Clairon dans la nouvelle salle, & voir joüer ce rôle d'Idamé qui a tourné la tête à tout Paris. Je craignois fort que vous ne vinssiez à Lyon pendant que j'irois à Geneve, & que nous ne jouassions aux barres; mais on me rassure en m'apprenant que vous restez à Geneve. La nouvelle salle est très belle, & digne de Soufflot qui l'a fait construire. C'est la 1re que nous ayons en France, & je serois d'avis d'y mettre pour inscription, longo post tempore venit. A Dieu, mon cher & illustre confrère, rien n'est égal au désir que j'ai de vous embrasser, de vous remercier de toutes vos bontez pour nous, & de vous en demander de nouvelles. Permettez moi d'assurer mesdames Vos nièces des mêmes sentiments. Vale, vale.

D'Alembert