5^e septembre 1760 aux Délices

Jérome Carré est très flatté, Monsieur, de tout le bien que vous lui dites de M^r Friport, et de L'Ecossaise.
Si vous voulez faire un petit pélerinage vers le 18^e 7^bre, vous trouverez à Tournay sur un théâtre de marionettes, deux ou trois acteurs qui valent bien ceux de Lyon, et surtout une actrice qui ne cède, je crois, à aucune de Paris; Vous verrez si le népotisme m'aveugle; je ne suis pas si bon père que bon oncle; j'abandonne mes Enfans, mais je soutiens que ma nièce joüe la comédie on ne peut pas mieux.

Il faut que vous me fassiez un petit plaisir; un Libraire, nommé Rigolet, a imprimé à Lyon une petite brochure dans laquelle l'auteur se moque également des prêtres de Juda & des prêtres de Baal; c'est toujours bienfait. Plus on rend tous ces gens là ridicules, plus on mérite du genre humain; mais l'ouvrage est médiocre, et j'en suis fâché; ce n'est pas assez de compiler, et d'écrire, en faveur des philosophes. Tous ces ragoûts qu'on présente au public se gâtent en deux jours s'ils ne sont pas sallés; ce qu'il y a d'assez désagréable, c'est que Rigolet s'est avisé d'intituler sa feuille, Dialogues chrétiens par M^r V…. imprimés à Genève.

Le second dialogue désigne un prêtre de Genêve nommé Vernet auquel on reproche une demi douzaine de friponneries; vous me rendriez un vrai service si vous pouviez sçavoir de Rigolet d'où il tient ces dialogues si chrétiens; j'ai un très grand intérêt de le sçavoir. Si Rigolet vous confie son secrêt, soiez sûr que je ne vous compromettrai pas; s'il ne veut point vous le dire, il le dira peut être au Lieutenant de police qui est vôtre ami. Je vous demande en grâce, d'emploier tout vôtre sçavoir faire, tout vôtre esprit, toute vôtre amitié, pour contenter ma louable curiosité. Je vous embrasse de tout mon cœur; mad^e Denis vous en fait autant.

L'hermite V.