6e aoust 1760 aux Délices près de Genève
Je crois, Monsieur, avoir plus besoin de Mr Tronchin, que le jeune homme dont vous me parlez; ma santé s'affaiblit tous les jours, et c'est ce qui m'a privé de l'honneur de vous répondre plutôt; si vous venez dans nos quartiers le triste état où je suis, ne m'empèchera pas de sentir le bonheur de vous posséder: j'ai peur que vous ne soyez bien mal logé dans la petite maison que j'occupe à un demi quart de lieüe de Genêve; mais on tâchera par toutes les attentions possibles de suppléer à ce qui nous manque.
Il parait par les Lettres dont vous m'honorez, que vous n'avez besoin du secours de personne pour mépriser les idées absurdes dont le monde est infatué; les sottises qui règnent dans la pluspart des têtes viennent encor plus de la faiblesse du cœur que de celle de l'esprit. Je serai enchanté de voir en vous une âme courageuse et éclairée; pardonnez à un pauvre malade s'il donne si peu d'étendüe aux sentiments que vous inspirez; il espère se dédomager d'une si courte Lettre par le bonheur de vous recevoir chez lui. J'ai l'honneur d'ètre avec tous les sentiments que je vous dois, Monsieur, Vôtre très humble et très obéïssant serviteur
Voltaire