27e fév: 1760 aux Délices
Monsieur,
Messieurs les fermiers généraux me mandent que l'affaire pour l'affranchissement du païs de Gex, est portée au conseil du Roy.
C'est apparament mr L'Intendant de Bourgogne qui l'y a portée; en ce cas, l'affaire trainera longtemps, le conseil n'y ayant aucun intérêt, et les fermiers généraux persistants dans leur idée qu'il leur faut un dédommagement considérable; peut être si on offrait au Roy, dans le pressant besoin où il est d'argent, une somme de cent mille Ecus, on forcerait les fermiers généraux, à recevoir la Loy que vous imposeriez; cette loy deviendrait irrévocable, et le pays serait délivré pour jamais de la véxation insuportable sous laquelle il gémit et vous seriez regardé comme son bienfaicteur.
A l'égard de l'affaire très désagréable de mes bléds Messieurs les fermiers généraux, m'ont mandé qu'ils ont cassé le directeur et le contrôleur dont je me plaignais. Mais ils m'ont tous deux demandé pardon; ils ont fait voir évidemment, que toute la mauvaise manœuvre venait du Brigadier nommé Crépet; cet homme est en effet le plus coupable; c'est lui qui a dressé le faux procez verbal, et qui l'a fait signer au directeur. C'est lui assurément qui doit être le plus puni; il a pris quatre fois plus de bois dans mes forêts que je ne lui en avais accordé; et il n'a arrêté illégalement les voitures de mes domestiques, que pour se vanger du frein que j'avais mis à ses déprédations. Mes gardes affirmeront par serment ce que j'ai l'honneur de vous dire.
Il est d'ailleurs public qu'il fait la contrebande continuellement. Je serais bien étonné que Mr L'intendant de Bourgogne en crût le procez verbal d'un tel misérable, procez verbal démontré faux, dressé le 25 et datté du 24, procez verbal dans lequel il dit contre toute vérité que mes chevaux avaient passé de quatre pas le bureau, ce qui est démenti par tous les témoins. J'étais certainement en règle, puisque le Bureau n'a jamais été passé, c'est la loi établie par le conseil, il n'y en a pas d'autre.
On ne peut donc juger ce procez qu'en interrogeant les témoins, prêts à déposer que mes domestiques n'ont point passé le bureau. Il faut donc absolument commettre des juges à Gex qui interrogent ces témoins. Tout celà me parait plus clair que le jour: et il ne me parait pas moins clair que ces employez sont la ruine de la province.
Je m'en raporte entièrement à vous, Monsieur, sur ces deux objets. Si je n'ai pas une justice complette des emploiés cela ne m'invite pas à acheter la terre de Tournay; j'afermerai plutôt celle de Ferney, et je resterai dans la retraitte que j'ai choisie, ne connaissant rien que je puisse préférer, ni même comparer à la Liberté.
Je me flatte que vôtre amitié contribuera à me faire jouïr de mes terres avec les agréments que j'en espérais.
J'ai L'honneur d'être avec bien de l'attachement et de la reconnaissance Monsieur
Votre très humble & très obéissant serviteur
Voltaire