1759-11-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles de Brosses, baron de Montfalcon.

Votre lettre, monsieur, a croisé la mienne.
Elle fortifie les raisons que j'ai de me plaindre des mauvais procédés de Girod, qui ne m'a communiqué aucun papier concernant les droits d'une terre qui m'appartient pendant ma vie, pleinement et sans restriction.

Je suis persuadé que les délations de cet homme ne vous séduiront pas et que vous ne voudrez jamais avoir à vous reprocher d'avoir mis dans la balance le tort imaginaire de quelques écus, avec le bien réel de vingt mille francs que je procure à la terre, après l'avoir achetée si chèrement.

Je continue très certainement à faire le bien de la terre en agrandissant les prés aux dépens de quelques arbres: il faut que Girod soit bien ignorant pour ne pas savoir qu'un char de fourrage vaut trente-six livres au moins, et souvent deux louis d'or aux portes de Genève. Feu mr le bailli de Brosses avait toujours projeté ce que je fais.

Mais, monsieur, pour trancher toutes ces mauvaises difficultés qu'un homme aussi intéressé et aussi chicaneur que Girod me fera toujours, faites moi une vente absolue de la terre que vous m'avez vendue à vie. Voyez ce que vous en voulez en deux payements. La vente, ridiculement intitulée par Girod, bail à vie, comme si j'étais votre fermier ad vitam, est d'ailleurs une impropriété qu'il faut corriger; et la meilleure manière de finir ces altercations qu'il suscitera sans cesse, est un contrat qui ne lui laisse plus aucun prétexte de s'ingérer dans mes possessions. Je présume que ce parti vous agréera. J'attends vos ordres, et ce dernier marché sera aussitôt conclu que l'autre. Il sera doux alors de n'avoir à vous parler que de belles lettres.

Votre très humble obéissant serviteur.

V.