1761-11-24, de François Fargès de Polizy à Marie Louise Denis.

Ma négociation a été fort difficile, madame, j'ai trouvé m. de Brosses et toute sa famille très ulcérés de la lettre que m. de Voltaire lui a écrite et surtout de la publicité qu'il y a mise; car m. de Brosses est instruit que m. votre oncle en a envoyé des copies.
Mais cependant son amitié pour moi l'a emporté, et il consent qu'il ne soit plus question des moules de bois qui font l'objet de la contestation; il en tiendra compte à l'homme dont m. de Voltaire les a pris, pourvu que m. de Voltaire veuille bien vous promettre d'en distribuer la valeur dans le courant de l'hiver aux pauvres de la paroisse de Tourney. Ainsi, il donnera à ses vassaux de Tournay tout ce qui suffisait au peuple romain de pain et de spectacles. Sûr que m. de Voltaire remplira et peut-être au-delà les engagements qu'il a pris avec vous à cet égard, m. de Brosses, à ma prière expresse, ne s'informera point de leur exécution ultérieure, et s'en rapportera à ce que vous me ferez l'honneur de me marquer à ce sujet, sur lequel je vous prie d'avoir la bonté de me répondre.

A l'égard du procès-verbal concernant les dégradations dont m. de Brosses se plaint, il l'a fait plutôt pour en empêcher de nouvelles, que dans le dessein de faire aucune poursuite, moins encore dans le projet odieux de vous ruiner un jour; et le propos que l'on fait tenir à cet égard est une imposture. Il veut bien encore, par égard pour vous, autant que par amitié pour moi, promettre de ne faire aucune poursuite en conséquence de ce procès verbal, sous la condition expresse, et sans laquelle sa promesse sera rétractée, qu'il n'en sera plus fait à l'avenir, que m. de Voltaire laissera exactement le nombre d'arbres par poses prescrit par le contrat sans rien intervertir à cet égard, et en laisser plus dans un endroit, et moins dans un autre, m. de Brosses voulant laisser ses bois également garnis partout; à condition également qu'aux termes du contrat, il tiendra en défense des bestiaux les coupes nouvelles, pour ne pas empêcher les bois de revenir; qu'il fera recéper et mettre en bonne revenue ce qui pourrait avoir été brouté par les bestiaux dans l'intervalle de sa jouissance, et qu'en tout il exécutera dans tous les points à cet égard le contrat. C'est dans ces conditions que m. de Brosses consent de ne pas poursuivre sur des dégradations réelles et qui l'ont justement alarmé pour l'avenir.

Pour ce qui regarde une autre condition du contrat, dont j'ai entendu m. de Voltaire se plaindre, qui est celle qui regarde les meubles et les effets qui se trouveraient au château de Tournay à sa mort, quoique m. de Brosse pût tirer avantage de la signification même que m. de Voltaire vient de lui faire faire à ce sujet, il ne veut sur cela que ce qui est juste, et ne conçoit pas comment m. de Voltaire pourrait entendre qu'il fût possible de prétendre que tout l'argent […] vaisselle d'argent qui se trouveraient à Tournay à sa mort puissent [être enlevés à ses] héritiers, ni pu entendre que ce qui a été nettement [stipulé] entre eux lors du contrat, savoir qu'au dedans de la maison, tout ce qui s'y trouverait en meubles meublants, et au dehors toutes les choses servant à l'agriculture lui appartiendraient. Mais ni la vaisselle, ni le linge, ni les tableaux non fixés, encore moins l'argent comptant et les effets mobiliers n'ont jamais pu être compris dans cette clause. Mais si telle que m. de Brosses l'entend, elle vous paraissait encore embarrassante pour l'avenir, il se prêtera aux arrangements que vous voudrez lui proposer; car comme le détail d'une maison est dans le district des dames, c'est avec vous qu'il compte traiter de tous les arrangements qu'il sera possible de prendre à cet égard, si vous avez envie de lui en proposer. Ainsi, m. de Voltaire pourra jouir sans inquiétude de la liberté d'aller habiter Tournay dans la belle saison, et il m'a paru qu'il désirait pouvoir y aller dans les chaleurs.

Voilà, madame, le fruit de ma négociation. Je désire et j'espère que vous en serez contente, je me fais un vrai plaisir de ramener la paix. C'est à vous, madame, à l'entretenir, et maintenir m. de Voltaire dans la ferme résolution d'exécuter le contrat qu'il a passé avec m. de Brosses, non aveuglément et sans le voir, mais après en avoir dressé lui-même différents projets, après avoir agité toutes les clauses qui en sont l'objet: elles tendent toutes à conserver les biens dans la même nature qu'ils ont été donnés. Enfin, madame, qu'il ne soit plus question du passé, et qu'à l'avenir, l'entière exécution des actes assure et maintienne la bonne intelligence que m. de Brosses désire, qu'il ne rompra jamais par sa faute, mais qu'il ne craindrait pas de faire cesser, s'il croyait en avoir de justes sujets, sûr, autant par la sagesse de son esprit que par les lumières que sa place l'a mis à portée d'acquérir dans les affaires, de n'avoir jamais de contestations qui puissent être douteuses.

Je suis, etc.

Farges