22 septb. [1759]
La Duchesse de Saxe Gotha m'envoye votre Lettre& ca.
Comme je viens d'être étrangement balotté par la fortune, les Correspondances ont touttes été interrompues. Je n'ai point reçu votre paquet du 29; c'est même avec bien de la peine que je fais passer cette Lettre, si elle est assés heureuse de passer.
Ma position n'est pas aussi désespérée que mes Ennemis le débitent. Je finirai encore bien ma campagne; Je n'ai pas le courâge abattu. Mais je vois qu'il s'agit de paix. Tout ce que je puis vous dire de positif sur cet article, c'est que j'ai de L'honneur pour dix, & que quelque malheur qui m'arrive, je me sens incapable de faire une action qui blesse le moins du monde ce point si sensible & si délicat pour un homme qui pense en preux Chevalier, si peu considéré de ces infâmes politiques qui pensent comme des marchands.
Je ne sais rien de ce que vous avés voulù me faire savoir, mais pour faire la paix, voilà deux Conditions dont je ne me départirai jamais, 1. de la faire conjointement avec mes fidelles Alliés; 2. de la faire honorable & glorieuse. Voyés-vous! il ne me reste que L'honneur; Je le conserverai au prix de mon sang.
Si on veut la paix qu'on ne me propôse rien qui répugne à la délicatesse de mes sentimens. Je suis dans les convulsions des opérations militaires; je suis comme les joueurs qui sont dans le malheur, & qui s'opiniâtrent contre leur mauvaise fortune. Je l'ai forcée de revenir à moi plus d'une fois, comme une maitresse volâge. J'ai à faire à de si sottes gens qu'il faut nécessairement qu'à la fin j'aye L'avantage sur eux. Mais qu'il arrive tout ce qu'il plaira à sa sacrée majesté Le hâzard, je ne m'en embarrasse pas. J'ai jusqu'ici la Conscience nette des malheurs qui me sont arrivés. La bataille de Minden, celle de Cadix, & la perte du Canada sont des argumens capables de rendre la raison aux Français aux quels L'hellébore autrichien l'avait brouillée. Je ne demande pas mieux que la paix; mais je la veux non-flétrissante. Après avoir combattù avec succès contre toutte l'Europe, il serait bien honteux de perdre par un trait de plume, ce que j'ai maintenu par L'épée.
Voilà ma façon de penser. Vous ne la trouverés pas à L'eau-rose. Mais Henri IV, mais Louis XIV, mes ennemis même que je peux citer, ne l'ont pas été plus que moi. Si j'étais né particulier je cèderais tout pour L'amour de la paix, mais il faut prendre L'esprit de son état. Voilà tout ce que je peux vous dire jusqu'à présent. Dans trois ou quatre semaines la correspondance sera plus libre &ca.
F.