1759-05-07, de Voltaire [François Marie Arouet] à Marie Ursule de Klinglin, comtesse de Lutzelbourg.

Il faut que vous me pardonniez, Madame, j'écris très peu parce que je n'ai pas un moment à moi; je me défais tous les jours de mes correspondances de Paris, je ne voudrais conserver que la vôtre; je ne connais plus que vous et la retraitte; je m'intéresse plus à la pension de monsieur vôtre fils qu'à la guerre et aux finances; je veux que vous soyez heureuse de toutes les façons et de tous les côtez; on aurait beau, d'ailleurs, tout bouleverser je n'en prendrai point d'allarme; j'ai sçû faire à peu près comme vous.
J'ai des terres libres, je veux y vivre et y mourir. Il est vrai que je m'y prends un peu tard pour bâtir et pour planter, mais la vraie jouïssance est dans le travail; la culture est un aussi grand plaisir que la récolte. Il vaut mieux ensemencer ses terres que de les ensanglanter comme on fait en Allemagne. Le Docteur Pangloss est un grand nigaud avec son tout est bien; je crois que les choses ne vont bien que pour ceux qui restent chez eux ou pour Monsr de Zeutlmandel, et pour sa grasse et riche chanoinesse, qui épouse un très aimable mari. Tout sera bien longtemps pour vous, Madame, puis que vous avez le courage de conserver vôtre régime, ce n'est pas une petite vertu; et vôtre vertu sera récompensée. Je ne vous mande aucune nouvelle, je n'en sçais que des siècles passés. Si vous en savez du siècle présent ne m'oubliez pas, mais songez toujours que celles qui vous regardent me sont les plus chèresc et que je vous suis attaché avec le plus tendre respect.

V.