aux Délices 17 février 1759
J'étais si honteux des détails de mes petits besoins mon cher monsieur qu'en vérité je n'osais vous envoyer cette liste sans votre permission.
Quand on a résolu de finir ses jours à la campagne, il ne faut pas se mettre dans la nécessité d'envoyer tous les jours chercher du poivre et de la canelle à la ville. J'aime les provisions. Horace dit qu'il en faut pour deux ans. D'ailleurs, j'ay vos treillages à peindre.
Je frémis des dépenses de cette année. Mais aussi quand j'aurai de beaux bleds je serai grand seigneur. Je ne mériterai pas avec ma nouvelle charue la gloire que M. votre frère acquiert par le zèle et les lumières qu'il employe dans cette étonnante affaire du fameux vol de Geneve. Mais je tiens que c'est un très beau métier de cultiver la terre. Je voudrais qu'il y eût à Lisbonne des juges aussi éclairez que mr votre frère et qui tirassent au clair l'avanture des jésuites. Il est tout simple qu'ils aient encouragé un assassinat et qu'ils aient prié dieu pour le succez de cette sainte action. Mais qu'on les ait portez en prison dans des coffres comme des ballots de linge cela me parait suspect, et me fait trembler pour la vérité de ce qu'on leur impute. Si vous avez quelque nouvelle, faites m'en part je vous en prie; si vous n'en avez pas demandez en à vos correspondants avec votre prudence ordinaire.
Avouez que Le Roi de Prusse a le diable au corps de m'envoyer deux cents vers de sa façon dans le temps qu'il se prépare à faire marcher deux cent mille hommes. On dit que nous n'avons plus de nègres pour travailler à nos sucreries. J'ay bien fait de me pourvoir. Si les annuitez étaient aprochant du pair dans quelque temps ne ferais-je pas bien de vendre les miennes? Voylà encore 14000lt ou environ en lettres sur vous pour le prêtre Deodati. Je ris de transiger avec des prêtres et d'avoir le téologien Vernet pr mon vassal à Tournei. C'est un tour d'espiègle que je luy ay joué.
Je vous embrasse du meilleur de mon cœur.
V.