1759-01-17, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Voylà le chapelet qui défile; voylà le magot qui s'en va.
Mais mon cher ami j'aime cent fois mieux des terres où l'on est le maitre, que de l'argent comptant avec une maison de plaisance sur le territoire où les prêtres sont maitres. Je n'avais d'ailleurs dans mes Délices ny de quoy nourrir mes chevaux, ny bois pour me chauffer, ny bled pour ma maison. Me voylà Jacob indépendant d'Esaü. Il y a long temps que j'y visais.

Affranchissez je vous en supplie cette lettre pour mon avocat au conseil. Grand mercy de la toile. J'attends les fusils, le caffé, le sucre, le vin de Languedoc. Tout est dû à vos bontez. Pouriez vous nous procurer cent livres de savon? Nous faisons lessives immenses. Il faut penser à tout dans un ménage. On se promène dans le beau jardin des Délices comme au mois de juillet. Je plante, je bâtis. Je vous prie à diner ou dans ma grande comté de Tournay, ou dans ma chatellenie de Ferney, ou dans ma ferme des Délices à la quelle je donne la préférence.

Les nièces, les neveux, toutte la famille transplantée vous embrasse.

V.