1758-10-14, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Robert Tronchin.

Comptons, mon cher correspondant, afin que je ne fasse pas de sottises.
Il faudra probablement, soixante mille livres au mois de décembre, vingt mille livres pour une autre affaire, soixante mille livres à la fin de mars, et vingt mille livres en juillet. J'ay déjà donné 90 mille livres au baron.

Voilà donc délogez de mon frusquin

60000H
60000
90000
20000
plus pour menus frais encor au mois de juillet 10000
total 240000

Vous aviez à moy d'une part environ

400000H
de l'autre en annuitez et billets de lotterie, etc. environ 36000
en voicy 20 mille en une lettre sur Laleu 20000
456000H
voylà donc 456000H et plus
pour payer 240000H ou environ
restera entre vos mains 216000H

Que la guerre continue, que la paix se fasse, que les hommes s'égorgent ou se trompent, vivamus et bibamus. Votre vin ne vaudra pas mieux cette année cy que l'autre. Vos huit tonnaux sont devenus d'assez bon vinaigre. C'est un très petit inconvénient dans ce bas monde, où tout est composé d'anicroches. On me fait espérer de vieux vin de Languedoc fort bon. La terre de Fernex rendra d'excellent froment; ainsi nous aurons la bénédiction de Jacob et d'Esaü. Quant à votre terre qu'on appelle icy st Jean dans les rues basses et à qui j'ay ôté le nom d'un saint, vous la retrouverez un jour un peu plus agréable que Mr Mallet ne vous l'a remise. C'est une vraye retraitte de philosophe genevois et vous finirez par l'être.

Pour achever la bénédiction de Jacob il me faut de l'huile d'olive, et j'en attends de vos bontez. Votre cousin le docteur veut qu'on y ajoute de la casse. Ainsi vous encourez les anatèmes de la faculté si vous ne m'en envoyez pas une douzaine de livres. Vous voyez mon cher monsieur que c'est par vous que je vis.

Et le sucre dont il me faut des tonnaux? et le caffé dont il me faut des balles? tout cela est il devenu bien cher, grâce aux déprédations anglicannes? Il faudra bientôt demander à ces pirates d'anglais la permission de déjeuner. Dieu les confonde, eux et leurs semblables qui désolent l'Europe, et dieu vous tienne en joye.

Je me flatte que vous avez terminé l'affaire de vos six millions. Vous devez réussir dans tout ce que vous entreprenez.

Je vous embrasse, autant en fait ma nièce.

V.