aux Délices 11 octobre 1758
Monsieur,
On me propose une terre dans votre intendance.
C'est un agrément dont je sens tout le prix, mais je n'en peux jouir sans votre protection. C'est la terre de Fernex à deux lieues de Geneve au payx de Gex. Cette terre n'est convenable pour moy qu'autant qu'elle peut défrayer en partie ma maison des Délices, et me délivrer du continuel embarras d'acheter les choses nécessaires à la vie. Je n'ay chez moy que des fleurs, de L'ombrage, et quelquefois quarante personnes à nourrir par jour. Je dois à vos bontez la permission d'acheter en Bourgogne soixante coupes de bled par an, ce qui n'est pas la moitié de mon nécessaire. J'ay auprès de moy une assez nombreuse famille. Elle vous aura la même obligation que moy monsieur si vous daignez faciliter par vos bontez l'acquisition qui se présente. La terre de Fernex appartient comme vous le savez Monsieur, à monsieur de Budée de Boisy, descendant de ce célèbre Budée qui fit naître en France sous François premier les belles lettres que je voudrais mieux cultiver que je ne fais. Vous les favoriserez en honorant de votre approbation le marché que Mr de Budée de Boisy me propose. Je sçais qu'en qualité de genevois il a dans sa terre quelques droits dont je serai privé, mais en qualité de citoyen j'espère que votre protection me tiendra lieu de ces droits. Je demande la permission de faire passer de ma terre de Fernex cent coupes par an à ma maison des Délices, en cas que la terre soit à moy, outre les soixante que vous m'avez déjà accordées. Ces 160 coupes serviront pour la consommation de cette maison, et pour celle de Lausane où je passe l'hiver.
Je demande aussi la permission de payer la même somme que Mr de Boisi paye pour son dixième. Ces deux grâces me détermineront à signer le marché dont je suspends la conclusion jusqu'au moment où je vous devrai monsieur les facilitez que j'ose attendre de vos bontéz.
On dit monsieur que vous avez à Gex un subdélégué homme de mérite. Un mot de vous suffirait pour terminer avec luy les petites choses que je demande.
J'ay l'honneur d'être avec une reconnaissance respectueuse
Monsieur
Votre très humble et très obéissant serviteur
Voltaire gentilhomme ordinaire du roy