1758-09-20, de Claude Adrien Helvétius à Voltaire [François Marie Arouet].

Vous ne doutez pas que je ne vous eusse adressé un Exemplaire de mon ouvrage Le jour même qu'il a paru si j'avois sçu où vous prendre.
Mai Les uns vous disoient à Manheim, Les autres à Berne et je vous attendois aux Délices pour vous envoier ce maudit livre qui Excite contre moy La plus violente persécution. Vous sçaurez que Le livre est supprimé, que je suis dans une de mes terres à trente lieues de Paris, que dans ce moment cy il ne m'est pas possible de vous en envoier parcequ'on est trop animé Contre moy. J'ay fait Les rétractations qu'on a voulu mais cela n'a point paré L'orage qui gronde maintenant plus fort que jamais. Je suis dénoncé à La Sorbonne, peutêtre Le seraije à L'assemblée du clergé. Je ne sçait pas trop si ma personne est en sûreté et si je ne seray pas obligé de quitter la France. Lisez moy donc, rapellez vous donc en me lisant ces mots d'Horace, Res est sacra mizer. Je souhaiterois que mon livre vous parût digne de quelque estime mais quel ouvrage peut mériter de trouver grâce devant vous? L'élévation qui vous sépare de tous Les autres écrivains ne doit vous laisser appercevoir aucune différence entre eux. Dès que je le pourroy je vous envoirray donc mon ouvrage comme un homage que tout auteur doit à son maître en vous conseillant cependant de relire plutost La moindre de vos brochures que mon inquarto.