1758-09-04, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Louis Auguste Fouquet, duc de Belle-Isle.

Monseigneur,

Mon devoir de sujet, mon estime et mon attachement pour vous dont j'ay donné plus d'une preuve publique m'obligent de confier à vos lumières et à votre prudence l'avis suivant.

'Il y a dans Bruxelles àprésent un avanturier qui se nomme Maubert. Cet homme a été capucin à Paris. Il s'est enfui de son couvent il y a longtemps. Il a été en Saxe avant la guerre, et a été mis en prison pour ses intrigues. Echappé de sa prison il est venu à Lausane où il a fait imprimer un mauvais livre intitulé le Testament du cardinal Alberoni. Dans ce livre il déchire la France, il s'attaque à la personne sacrée du Roy, et voicy comme il parle de M. le maréchal de Belleile, page 253. "Sa présomption le rangea dans la classe de ces hommes odieux nez pour le malheur de leur patrie qui, à quelque prix que ce soit veulent être fameux" etc. Ce misérable a été chassé de Lausane; et a passé en Angleterre depuis le commencement de la guerre présente. Il a écrit publiquement à Londres contre la France et il sert actuellement d'espion à la cour de Bruxelles, de la part des anglais. On le croit chargé même de quelque négociation dangereuse.'

Je croirais monseigneur manquer à ce que je dois au roy et à vous si je ne vous communiquais pas cet avis qui peut être important.

Tout ce qu'on mande de cet homme est d'autant plus vraisemblable, que je viens de vérifier ce qu'on luy impute de la manière punissable dont il ose parler de votre personne.

Je sçais que les injures personnelles ne vous touchent pas, mais l'intérest de l'état vous touche, et vos soins infatigables en ont été la preuve dans un temps où il vous était permis de ne vous livrer qu'à la douleur.

Daignez recevoir ce témoignage de mon zèle avec autant de bonté, que je suis avec attachement et avec respect

Monseigneur

votre très humble et très obéissant serviteur

Voltaire gentilhome ordinaire du roy