1758-05-12, de Charles Jean François Hénault à Voltaire [François Marie Arouet].

Nous avons joüi de toutte vostre réputation, mon cher confrère, en aprenant la nouvelle de vostre mort.
Ce n'a pas été quelque Prélat ignorant comme vous le mandiés au mal de Villars, qui a fait vostre oraison funèbre, c'est la voix publique qui l'a prononcée. Cette nouvelle courut dans Versailles, on s'en occuppa beaucoup, on en raportait touttes les circonstances, comme il arrive dans les événements considérables, mais le lendemain le Roi nous dit à tous Voltaire n'est pas mort. Ainsi donc, mon cher confrère, puisque vous voilà ressuscité, tâchés de ne plus mourir, du moins tant que je serai en ce monde. Qu'y gagneriés vous d'être pleuré du Roi de Prusse et de d'Argental et de tous nous autres, voilà bien de quoy. Cela n'aprendroit rien de nouveau. Donnés nous encor des ouvrages posthumes de vostre vivant: souvenés vous des engagemens que vous avés pris à mon égard avec le public, par ces lettres charmantes que vous m'avés écrittes, souvenés vous que vous n'avés pas d'admirateur plus ancien que moi, et que je dois vivre dans l'histoire de vostre vie, surtout après avoir tiré la Henriade du milieu de la cheminée de la Faye.

Voici une espèce de farce qui vous amusera peutétre, ne fût-ce que par le souvenir. Je vous l'envoye dans la sécurité qu'elle ne sera que pour vous, prémièrement par la fidélité que je vous connois, et puis, par ce que cela ne peut être plaisant que pour vous, et que les Acteurs et les témoins n'y [?sont] plus.

J'y joins un divertissement dont la musique est charmante.

Je vous embrasse mille fois, mon cher confrère, mes respects à madame Denis.

H.