1758-02-13, de Voltaire [François Marie Arouet] à Jean Le Rond d'Alembert.

Je vous demande en grâce mon cher et grand philosophe de me dire pourquoy Duclos en a mal usé avec vous?
Esce là le temps où les ennemis de la superstition devraient se brouiller? Ne devraient ils pas au contraire se réunir tous contre les fanatiques et les fripons? Quoy, on ose dans un sermon devant le roy traitter de dangereux et d'impie un livre aprouvé, muni d'un privilège du roy, un livre utile au monde entier, et qui fait l'honeur de la nation! Je ne parle que d'une bonne moitié du livre. Et tous ceux qui ont mis la main à cet ouvrage, ne mettent pas la main à l'épée pour le deffendre! Ils ne composent pas un bataillon quarré! Ils ne demandent pas justice! Mr de Malzerbes n'a t'il pas été attaqué comme vous et vos confrères dans ce discours d'arangère, appelé sermon prononcé par Garasse-Chappelain, qui prêche comme Chappelain faisait des vers?

Je vous ay déjà mandé que j'avais écrità Diderot, il y a plus de six semaines, premièrement pour le prier de vous encourager sur l'article Geneve en cas que l'on eût voulu vous intimider, secondement pour luy dire qu'il faut qu'il se joigne à vous, qu'il quitte avec vous, qu'il ne reprenne l'ouvrage qu'avec vous. Je vous le répète, c'est une chose infâme de n'être pas tous unis comme des frères dans une occasion pareille. J'ay encor écrit pour que Diderot me renvoye mes lettres, mon article histoire, les articles hauteur, hautain, hémistiche, heureux, habile, imagination, idolâtrie etc. Je ne veux pas doresnavant fournir une ligne à l'enciclopédie. Ceux qui n'agiront pas comme moy sont des lâches, indignes du nom d'hommes de lettres, et je vous prie de le leur signifier de ma part. Mais je veux absolument que Diderot remette mes lettres et mes articles chez mr Dargental en un paquet bien cacheté. Je ne sçais pas ce qui peut autoriser son impertinence de ne me point répondre, mais rien ne peut justifier le refus de me restituer mes papiers. Il faut avoir un stile net, et un procédé net.

Les russes sont à Kœnisberg. L'année 1758 vaudra bien la dernière. D'ailleurs on ne fait que mentir. La fessade et le carcan de l'abbé de Prade sont des contes, mais il est triste qu'on les fasse. Qui conque est là s'expose au moins à faire dire qu'il est fessé. Feliciter vivit qui libere vivit. Que fait Jean Jaques chez les bataves? que va t'il imprimer? Sa rentrée dans le giron de l'église de Geneve?

Ce n'est point Hubert qui a dit que les prédicants étaient occupez à donner un état à Jesus christ, c'est la Crammer. Elle en dit quelquefois de bonne. La lenteur et l'embarras de ces gens là vous justifient à jamais.

V.