à Geneve le 2 9bre 1757
Monseigneur,
Il y a quelque tems qu'il s'imprime icy un journal sous le titre de Choix littéraire.
Je parcourus celuy qui parut dans le mois dernier. Je tombai sur l'examen des quatre beaux siècles de m. de Voltaire, je fus surpris de les voir attaqués avec autant de force que d'amertume. L'auteur ou pour mieux dire le critique, ne s'attache qu'à les peindre avec les couleurs les plus noires; il représente les Peuples gémissants sous le poids de la tirannie et de la licence la plus effrénée. Je remarque, dit l'auteur, qu'il n'y a point de siècles qui ait produit plus de tirans et de flatteurs; tous les vices ont fleury avec tous les arts, et aucuns n'ont esté plus pauvres en grands hommes que ceux où il y avoit le plus de génies pour les célébrer.
Dans le 3e siècle, il traite de Libérateurs Luther et Calvin qui ont arraché les peuples à la superstition, aux Papes, pères barbares qui armoient les frères contre les frères.
Cet éxamen est d'autant plus dangereux que l'auteur écrit bien, ses portraits sont hardis, les touches sont fortes, mais son pinceau est trempé dans le fiel, la fureur le conduit. J'ay esté effrayé d'entrevoir, par les expressions de persécutions affreuses de Loïs 14 avec quelle amertume et quels emportemens il parleroit de ce Grand Roy et de la révocation de l'Edit de Nantes. Heureusement que l'examen de ce siècle étoit seulement promis pour le per journal.
J'ay cru, Monseigneur, devoir travailler à empêcher que l'auteur le donnât: j'ay parlé à quelques personnes dont je connois la sagesse et j'ay obtenu en les faisant juges du danger de répandre cet ouvrage, qu'il ne paroitroit pas. J'ay parlé à l'Editeur, qui a engagé et fait promettre à l'auteur que le 4e siècle ne seroit jamais imprimé, sacrifice qui devoit trop coûter à l'amour propre pour espérer de l'obtenir. Le Magistrat n'a aucune connoissance de mes démarches; je ne comptois de m'adresser à luy qu'au cas que je ne pusse réussir par la voye que j'ay employée.
Je suis avec respect,
Monseigneur,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
Montperoux