25 Janvier [1759] à Paris
J'ai eu à la fois à faire votre Atlas, à vous le faire tenir, et à me transporter de la rue Viviene vis à vis l'hôtel de Noailles, rue St Honoré, où Madame la Comtesse de Montmorency m'a entrainé pour six Mois.
Je vous aprendrai qu'après six ans de Mariage sans Enfant avec le plus grand intérest du Monde d'en avoir, elle est dans son 4e mois de grossesse. Il me faudra bien faire place à M. le Prince de Lux. dont j'occupe l'apartemt tandis que j'en cherche un pour la St Jean. On vient de substituer il y a six mois Cent mil écus à ce futur contingent.
L'atlas que je vous ai envoyé, mon très illustre ami, a été fait avec les bons offices de deux des plus habiles gens dans la Géographie, ce sont Mrs Danvile et l'abé Huguin qui s'y sont portés avec beaucoup de zèle et d'attention. Nous avons fait pour le mieux. J'en ai donné avis à M. Tronchin de Lyon, et je juge qu'il doit vous être parvenu. Le cahos et le désordre de mon déménagemt m'a empêché de vous écrire et de vous envoyer l'état de la dépense qui n'est pas si considérable que je la croyois. Je ne l'ai pas à présent sous la main, et ce sera pour la première fois que je vous écrirai. Nous avons jugé tous trois qu'il valloit mieux vous envoyer toutes ces cartes pour les faire relier comme il vous conviendroit, parce qu'il y a dit on à Geneve de très bons relieurs et qu'il vous en coûteroit beaucoup moins qu'icy. Ce ne sont que les plus habiles et ils font payer très cher leur savoir faire.
Vous trouverés dans votre caisse outre vos cartes l'horrible et détestable livre de l'apologie de la Révocation de l'Edit de Nantes et une aussi indigne Dissertation sur la St Barthelemy. Je remis il y a trois jours à M. Bouret une excellente petite brochure aux dix premières feuilles près, qu'il falloit réduire à deux, sur les Journaux du Jésuite Berthier, contre le livre de M. de Mirabeau et enfin contre le déffenseur de la révocation de l'Edit de Nantes et du Massacre de la St Barthelmi. On connoit l'auteur de cet indigne ouvrage, c'est l'abé de Caverac, homme fort méprisé et qui cherche à faire fortune à quelque prix que ce soit. Il me semble reconnoitre M. l'abé Coyer dans la lettre sur le Matérialisme qui doit vous faire plaisir.
M. Gravelot m'a remis pour vous donner des marques de son estime et de son attachemt, un exemplaire de ses Etrennes de l'Ecole Militaire dont les Desseins et les Vers sont de sa façon. M. le Roi, horlogeur, m'a prié d'y joindre son petit almanach Chronologiqe qui est fort instructif et bien exposé pour la connaissance du Tems.
Vous êtes dans les délices de la Vie Oeconomique et Rustique, vous allés comme le Vieillard de Virgile parer votre table de mets et de fruits qui ne vous coûteront plus que de l'amusement. M. Tronchin me paroit faire quelque fois le capable et n'être pas plus instruit qu'il l'est de votre aquisition qui me semble fort solide quoiqul en dise.
Le Parlemt est après l'examen et la condamnation de l'Encyclopédie, de l'Esprit de M. Helvetius et de quelques autres ouvrages. Le Nonce requéroit sans cesse du Cardl de Bernis une satisfaction en punissant le pauvre Tercier, il lui a fait finir ses plaintes et ses prétentions en lui disant courageusemt que c'était sa faute, et qu'il étoit la cause que Tercier avoit aprouvé le livre sans l'examiner et sans le lire, parce qu'il avoit alors besoin de lui pour des affaires importantes et sérieuses. Voilà ce qui s'apelle un homme d'Etat. C'est le Ministre que j'ai veu le plus regretté. Il a été bien vite élevé, et bien vite précipité.
Crebillon fils n'a pas sçu se conserver auprès de M. le Maréchal de Richelieu, je l'avois préveu. Il est de ces Esprits durs qui ne peuvent pas plus vivre avec leurs égaux qu'avec les grands.
Je compte aussitôt que j'aurai débrouillé mes paperasses vous envoyer l'état des déboursés que vous me fîtes remettre par Madame Fontaine. Souvenez vous que mon adresse est vis à vis de l'hôtel de Noailles, chés Mr le Comte de Montmorency. Je vous embrasse de tout mon coeur. Vale.