Paris 8 9bre 1776
Monsieur,
Je suis très reconoissant de la lettre gracieuse dont vous avez bien voulu m'honorer en date du 30 9bre. Elle ne m'est parvenue que ce soir.
Mr Nekre est directeur général des finances, tel est son titre, son autorité est presque Egale à celle de mr Taboureau. Le public Equitable qui regrette mr de Turgot a vu leur Elévation avec une sorte de plaisir. Ils passent l'un et l'autre pour gens de probité, mais ils sont dans un poste bien dangereux.
Mrs du clergé n'ont pas vu sans inquiétude un Protestant élevé au second poste de la finance, ils ont tremblé pour Eux. Il paroit certain que mr. le cardinal de la Rocheaimon a été trouver le Roi, ayant à la main l'ordonance de la révocation de l'édit de Nantes et a montré à sa majeste l'article par lequel Louis XIV défendoit de donner aucune place à un homme professant cette religion. Le Roi au lieu de lui répondre lui a tourné le dos.
Plusieurs Evêques dinant chez mr de Maurepas murmuroient hautement de l'élévation de mr Nekre, et toujours sous le prétexte de la Religion. Mr de Maurepas leur a fermé la bouche en leur disant, Messeigneurs nous vous sacrifierons volontiers mr Nekre si vous voulés payer toutes les dettes de l'état.
Mrs les intendans des finances refusent de travailler avec mr Nekre, quoique le Roi lui ait permis de se décorer, par l'achat d'une charge dans l'ordre du vrai mérite. La ville de Ferney n'est pas seule à soufrir de ces changemens perpétuels.
Il paroit un nouveau livre intitulé le caffé d'Amsterdam qu'on attribue à ce nouveau ministre. C'est un dialogue sur le gouvernement entre un Français, un Anglais et un Hollandais. On en parle diversement.
Vous avés sçu dans doute, monsieur, l'assasinat commis dans la personne de monsieur Birac, capitaine d'artillerie, par mr de Laville-Hornois, capitaine au Régiment de la Reine, et par mr l'abbé Ayon frère [du] grand vicaire de Sens. On raconte cette histoire en deux façons. Les voici.
Depuis plusieurs jours mr Birac se plaignoit qu'on chassoit sur ses terres, et il en parloit encore à table, lorsqu'on vint lui dire qu'il y a voit deux braconiers sur sa terre. Il se lève, prend une canne, va joindre ces deux messieurs et leur parlant très poliment leur fait des reproches de ce qu'ils ne lui avoient pas fait l'honneur de venir manger sa soupe. Après diné, ajouta t'il, nous aurions été chasser ensemble. Ces messieurs reçurent mal cette politesse, les propos s'échaufèrent, et mr de Villehornois mit le bout de son fusil dans le ventre de mr Birac, le fit partir et le tua Roide. Un de ses enfans de huit à neuf ans, ou un domestique étant accourus au coup, fut mis en joue par mr l'abbé, mais heureusement le fusil a fait long feu. Telle est la première façon dont on l'a raconté au Roi qui promit sur le champ à la veuve qui demandoit vengeance de lui donner cette satisfaction. En conséquence mr de st Germain a envoié à toutes les maréchausées le signalement de ces deux mrs, et mr de Vergennes a Ecrit dans toutes les cours pour prier les princes étrangers de ne leur donner aucune retraite.
Seconde édition de cette histoire. Je la tiens d'un ami de mr de la Villehornois père, lequel est très ami de mr l'abbé Bignon, Beaufrère de mr de Miromenil. Ces deux messieurs étoient à la chasse, on vint en avertir mr de Birac qui furieux se saisit d'un gros bâton et courut à ces messieurs fort en colère. Ceux ci le voyant venir mirent le chapeau à la main et lui firent beaucoup d'excuses. Pour réponse mr de Birac déchargea un grand coup de bâton qui renversa mr de la Villehornois. Il se relève et voyant mr de Birac qui étoit prêt à recomencer, il lui a mis la boure du fusil dans le ventre et l'a tué. Telle est la seconde façon dont l'histoire a été contée à sa majesté qui en conséquence a donné ordre à mr de St Germain de retirer le signalement envoié aux maréchaussées, et mr de Vergennes a écrit aussi contradictoirement aux ministres étrangers. O Welches, Welches.
Mr de Beaumarchais a établi une maison de banque pour les piastres, il a plusieurs commis, voit beaucoup les ministres et particulièrement mr de Maurepas. Le public le décore du titre de banquier de la cour pour les piastres et monnoies étrangères. On regarde ces état comme très lucratif, il a pris avec lui le fils de mr de l'Epine, celui qui a été dans le bourg, aujourd'hui ville de Ferney.
Le parlement qui a levé l'arrêt par lequel il avoit été blâmé, a levé par le même jugement et sans le savoir celui de mde de Goësmann son antagoniste.
On parle vivement du rétablissement de l'école militaire.
Mr de st Germain qui a repris un peu de consistance vient de réformer beaucoup de commissaires des guerres.
Sans vous, monsieur, j'aurois Eu l'honneur de vous faire passer avec cette lettre le mémoire de mr de Mirabeau fils, contre mr son père, on le dit curieux. J'étois prêt à sortir pour aller le demander à mde de Mirabeau, mais deux dames mes voisines m'ont prié de leur lire Zaïre, ensuite le temple du goût, et puis le poëme de Fontenoi, et huit heures ont sonné, lorsque nous croions qu'il n'en étoit encore que six. J'espère vous le faire passer incessamment.
J'ose vous prier de présenter mon humble respect à madame Denis, je souhaite que sa santé se rétablisse.
Je suis avec la plus respectueuse vénération
Monsieur
votre très humble et très obéissant serviteur
de Beaulieu
9 9bre
p. s. j'avois écrit ce matin à mde la marquise de Mirabeau pour la prier de m'envoyer un mémoire de mr son fils. Elle s'est donnée la peine de venir elle même chez moi. Vos portraits, monsieur, car j'en ai plus d'un, et vos divins ouvrages divinement reliés ont frappé ses yeux, et la conversation a tombé naturellement sur l'homme par excellence. Mon petit amour propre a trouvé son compte à lui dire que vous daigniés quelquefois m'honorer de votre souvenir. Alors elle m'a laissé un mémoire d'elle et un de mr son fils en me priant instament de vous les faire passer avec les expressions les plus vives de sa vénération et de son respect. Une de ses filles qui l'accompagnoient a baisé votre portrait et le volume de la Tolérance. Mde de Mirabeau, m'a chargé de vous dire que certainement elle vous auroit fait passer ces mémoires, si elle n'eut craint de vous déplaire, parce que dans son premier procès, elle vous en avoit adressé un, qu'elle avoit affranchi elle même & sans être honorée d'un mot de votre part. Je lui ai dit seulement que vous ne receviés que les lettres dont mr Wagneres connoissoit l'Ecriture ou le cachet, précaution sans laquelle vous seriés inondé de paquets. Elle m'a répliqué qu'elle croioit que vous receviés les paquets affranchis & je n'ai pas cru sans votre aveu devoir lui montrer l'article de votre lettre qui la concernoit. Vous ferés de ceci l'usage que votre prudence trouvera à propos. Si vous ne voulés pas vous compromettre, monsieur, en lui écrivant, vous pourés, si cela vous convient, mettre un mot pour cette dame dans une de vos lettres, je le lui montrerai à elle seule, sans lui laisser la lettre. C'est ici gros Jean qui remontre à son curé.
Je ne vous envoi pas son mémoire, puisque vous l'avez déjà.