au Chêne 26 octb [1757]
Je vous envoie mon cher ami la réponse que je devais à monsieur Déguerti.
Elle a trainé quelques jours sur mon bureau. Si vous le voyez je vous prie de luy dire combien je suis satisfait de son ouvrage et reconnaissant de son présent. J'aime le commerce pour le bien public, car pour le mien je ne devrais pas trop l'aimer. Je m'étais avisé il y a quelques années de mettre une partie de mon avoir entre les mains des commerçants de Cadix. Je trouvais qu'il était beau de recevoir des lettres de la Veracrus et de Lima. Messieurs de Gades et des colonnes d'Hercule peuvent y avoir gagné, et j'y ay baucoup perdu. Je n'en suis pas moins persuadé que le commerce est l'âme d'un état. C'est ainsi que j'aime les beaux arts et que je les crois toujours utiles malgré tout le mal que l'envie attachée aux arts m'a pu faire. Dites moy je vous prie àpropos de ces arts que tant de coquins déshonorent s'il est vray que ce misérable Labaumelle soit sorti de sa Bastille en même temps que votre archevêque est revenu de Conflans et l'abbé Chauvelin de son exil. Puisque le roy est en train de donner la paix à ses sujets, j'espère qu'il la donnera à l'Europe. Si dans les circomstances présentes il en est le pacificateur il jouera un plus beau rôle que Louis 14.
Vous ne m'avez point parlé de madame de Sandwich. Ne vous a t'elle pas laissé par son testament quelque marque de son souvenir? Qu'est devenu le diamant ue vous avait laissé cette pauvre madame de la Popliniere? Etes vous encor puni de vous être attaché à elle?
V.
26 octb [1757] à Lausane aux Chenes
Je n'ay rien reçu encor de Petersbourg pendent opera interrupta minæque murorum ingentes. J'ay grand’ peur que l'hidropisie d'Elisabeth ne nuise à l'histoire de Pierre. Ce qui se passe àprésent mérite un petit morceau curieux. Il fournira si je vis un ou deux chapitres à l'histoire générale que vous aimez. Il ne sera pas inutile de faire voir comment le pays sabloneux de Brandebourg avait formé une puissance contre la quelle il a fallu de plus grands efforts qu'on n'en a jamais faits contre Louis 14. J'ay sur ces événements des anecdotes uniques. Mais c'est àprésent le temps de se taire. Quant à cette pauvre Jeanne je vous réitère que personne ne connaît la véritable. Si jamais vous veniez sur les bords de mon lac, nous la lirions au pied de la statue de messer Ludovic Ariosto. Interim vale. Sed quid novi?