1757-02-16, de Voltaire [François Marie Arouet] à Charles Palissot de Montenoy.

Ce que vous me mandez, monsieur, du grand acteur Le Kain, m'afflige et ne me surprend pas: c'est le sort de bien des talents de ne recueillir que des traverses au lieu de récompenses.
Si vous le voyez, je vous prie de lui dire que j'ai écrit à monsieur le maréchal de Richelieu, pour lui faire obtenir un congé à pâques; mais on m'a répondu qu'il n'était pas possible de lui donner de congé cette année, puisqu'il en avait pris un de lui-même l'année passée. J'aimerais bien mieux qu'on augmentât sa part, que de lui donner un congé. J'écrirai, j'insisterai: mais la recommandation d'un suisse n'a pas grand pouvoir à Versailles.

Je ne sais où est actuellement votre ami m. Patu, que je possédai huit jours dans mon ermitage avant qu'il allât en Italie. J'avais chez moi alors une de mes nièces qui commençait à être bien malade, et qui, peut-être, n'eut pas pour lui toutes les attentions qu'elle aurait eues, si elle avait moins souffert. J'ai peur que ce petit contre-temps ne lui ait déplu. J'en serais très fâché; je l'aime beaucoup, et je sens tout son mérite. Si vous lui écrivez, je vous prie de l'assurer de tous mes sentiments.

Vous me feriez beaucoup de plaisir, monsieur, de présenter mes respects à monsieur le duc d'Ayen, et à madame la comtesse de la Marck. Ce sont leurs suffrages qui font ma consolation dans les maux qui m'affligent. Je ne vis plus pour les sensations agréables; mais le plaisir de leur plaire me tiendra lieu de tous les autres. Comptez, monsieur, sur le sentiment d'une amitié véritable de ma part.