12e avril 1776
Mon cher grec, il y a grande aparence que vous succèderez bientôt à quelque académicien français ou suisse, soit au vieillard de Ferney, soit à Ste Palaye.
Je ne puis vous envoier la Lettre que vous me demandez, par la raison qu'elle est pleine de choses qui n'ont aucun raport à Théocrite, et que sans doute vous ne voulez pas que je divulgue les secrets d'un ami.
Si par quelque avanture étrange vous aviez à recueillir une autre succession que la mienne, et si j'avais assez de force pour venir moimême vous donner ma voix soiez sûr que je ferais le voiage. Mais il est très probable que je ne voiagerai que dans l'autre monde. Je vois que dans celui cy tout est plein de cabales et de sottises. Vôtre Paris est partagé en dix mille petites factions dont Versailles ne sait jamais rien. Paris est une grande basse-cour composée de coqs d'Inde qui font la roue et des perroquets qui répètent des paroles sans les entendre. On leur envoie de Versailles leur pâture, ils font bien du bruit, et Versailles les laisse crier. Les provinces sont plus tranquiles et plus sages, elles rendent justice à Mr Turgot, et il est déjà regardé comme un grand homme dans les cours étrangères.
Est-il vrai que Mr Defronsac épouse une de vos Américaines, qu'on prétend riche de cent mille écus de rente? En ce cas, M: de Richelieu peut abandonner son procez, et achever doucement sa vie dans une retraitte agréable. Late bias, est un conseil excellent pour ceux qui ont vécu avec éclat dans le monde.
Souvenez vous quelquefois d'un vieux solitaire qui vous aimera tant qu'il aura un reste de vie.
V.